En effet, mis au jour par les archéologues de l’A.F.A.N. en 2001, placés sous la responsabilité de Frédéric Devevey, l’objet mystérieux n’a pris tout son sens qu’à l’automne 2004. Sous les mains expertes des restaurateurs du Laboratoire d’Archéologie des métaux de Jarville-Nancy, la calotte sphérique qui avait été cataloguée dans un premier temps comme « phalère décorative » (d’un harnais ?) bascula tout à coup dans la classe privilégiée des objets scientifiques. Trois lignes concentriques de fines inscriptions en caractères grecs plongeaient l’archéologue dans un émoi dubitatif.
L’enquête se poursuivait et grâce aux compétences d’un universitaire dijonnais, Patrice Cauderlier, l’énigme finit par être résolue. Le disque était sans aucun doute un instrument artisanal élaboré dans le but de répondre aux questions et obsessions de l'Antiquité sur la destinée des hommes et de la question primordiale des riches de l'époque : le ciel et les dieux seront-t-ils favorables ?
Le dépôt métallique d'où provient le disque (Vue de détail (en cours de fouille) de la partie inférieure du dépôt métallique, enfoui vers les années 350 dans la pièce n° 8 (cl. INRAP, 2001).
Le « disque » de Chevroches est en réalité une calotte sphérique constituée d’une tôle en alliage cuivreux d’une épaisseur de 0,5 mm. Il mesure environ 64,5 mm de diamètre et 13 mm de hauteur maximale. L’étude des éléments gravés sur l’objet permet de reconstituer les différentes étapes de sa réalisation :
-1 Un artisan a d’abord façonné la forme de la calotte en martelant une plaque de bronze pour lui donner cet aspect bombé. La courbure de l’objet permet de restituer un diamètre de base d’environ 100 mm.
-2 Un graveur expérimenté a ensuite soigneusement ciselé trois cercles approximativement concentriques. Celui du pourtour est le moins bien conservé ; il est effacé à deux endroits, peut-être du fait d’une usure liée à l’utilisation de l’instrument (?). Un orifice circulaire (diamètre 5 mm) a été percé au sommet de l’objet. Il est légèrement décentré par rapport aux autres cercles, relativisant ainsi la justesse des observations réalisées avec cet objet à caractère « scientifique ». (YH : à moins que cela ne soit volontaire, afin de tenir compte du nombre de jours différents entre les calendriers utilisés, égyptien, grec, romain...)
-3 Le graveur a divisé la surface de la calotte entre le second cercle et la périphérie de l’objet en douze parties égales de 30° chacune. Enfin, il a défini le pourtour de l’instrument à partir du cercle extérieur en subdivisant chacune des 12 parties délimitées précédemment par 6 graduations a priori égales.
-4 Les inscriptions ont été gravées au cours d’une dernière étape. En effet, la gravure de certaines lettres vient mordre les lignes ou les cercles préalablement tracés, comme on peut le voir sur l’objet ou son fac-similé agrandi.
-5 Sans doute après les phases de gravure successives, la calotte a été fixée sur un support (sphérique ? L'ancêtre des "boules" de voyance ?) grâce à une brasure à l’étain visible sur la face inférieure de l’objet (zone de hachures sur la vue de dessous du dessin de l’objet). L’instrument était ainsi maintenu de manière diamétrale et sur une partie de sa bordure. Une déformation de cette portion latérale de l’objet et de la surface de la calotte tendrait à montrer qu’il a sans doute été arraché de son support lorsqu’il a été mis au rebut.
Un tel travail de dinanderie est parfaitement maîtrisé en Gaule romaine, notamment pour ce qui est de la technique du métal au repoussé, dont les artisans gaulois s’étaient fait une spécialité. Patrice Cauderlier qui a étudié cet objet, pense malgré tout qu’il a été exécuté suivant un modèle provenant d’Égypte, dans la sphère de ce qui est nommé l’École d’Alexandrie, compte tenu de la maîtrise de la langue grecque et des données complexes liées au sens des mots et de leurs abréviations que nécessite une telle réalisation.
La calotte sphérique est divisée en douze compartiments égaux, dans chacun desquels sont inscrits trois mots superposés qui sont tous gravés avec des caractères grecs :
> La ligne extérieure correspond aux douze mois égyptiens ;
> La ligne médiane aux signes du zodiaque au datif (sans iôta adscrit) ;
> La ligne intérieure aux douze mois romains, la plupart d’entre eux étant abrégés.
Le « disque » peut être lu en commençant par Thôth, le premier mois du calendrier égyptien qui commence à la date de notre 28 août (ou 29 pour les années bissextiles).
Les équivalences portées sur cet objet ne prennent pas en compte les 5 jours supplémentaires « épagomènes » (au nombre de 6, les années bissextiles depuis le réforme julienne). En effet, le calendrier civil égyptien comprenait des mois réguliers de 30 jours ce qui nécessitait l’ajout de 5 à 6 jours à la fin de chaque année. Ici, la coïncidence entre les mois romains et les mois égyptiens est obtenue de manière très approximative ce qui interroge les spécialistes de la question.
Utilisation de l’alphabet grec, référence aux mois et aux signes zodiacaux égyptiens, tentative de mise en correspondance des calendriers égyptien et romain, font de cet objet un instrument d’une grande rareté, utilisé par un personnage aux connaissances astrologiques avérées. On peut noter toutefois que sur ce disque, le mois était divisé en 6 parties, alors que le mois égyptien l'était en 3 décans de 10 jours.
Les pratiques astrologiques font partie intégrantes des premières sciences de l'ancien monde, bien avant l'Antiquité romaine. En effet, on sait que les astres étaient observés en Mésopotamie dès le début du IIIe millénaire avant notre ère. Astrologie et politique sont intimement liées à Ninive, notamment à la cour du roi Assurbanipal (668-629 av. J.-C.). Les astrologues étaient consultés par le souverain avant de prendre des décisions importantes comme le choix d’un prince héritier, la nomination d’un haut fonctionnaire, l’opportunité de conclure une paix ou de poursuivre une guerre. Les douze signes zodiacaux apparaissent dans un texte daté de 419 av. J.-C. et le pratique littéraire de l’Horoscope a eu des débuts timides à la cour de Babylone, comme l’attestent deux textes datés de 410 av. J.-C.
En ce qui concerne Rome, Tacite, (Annales, VI, 20-21) nous raconte que l’empereur Tibère (14-37) pratiquait lui-même cette discipline que lui avait enseignée son maître Thrasylle, à l’école de Rhodes : « Chaque fois qu’il consultait un astrologue, il [l’empereur Tibère] utilisait l’étage supérieur de sa demeure et les services d’un unique affranchi. Celui-ci menait par des chemins mal frayés et bordés de précipices, car le palais est bâti sur les rochers, celui dont Tibère avait résolu d’éprouver les talents et, au retour, si l’astrologue avait donné le moindre soupçon de légèreté ou d’imposture, il le précipitait dans la mer qui baignait le bas des rochers, afin de supprimer le détenteur du secret. Thrasylle fut amené par les mêmes rochers, et comme il avait fortement ému le prince par ses réponses, où il lui prédisait l’Empire et lui dévoilait habilement l’avenir, Tibère lui demande s’il avait tiré aussi son propre horoscope et de quels signes étaient marqués pour lui l’année et le jour où l’on était. Thrasylle mesure alors la position des astres et calcule les distances, puis s’épouvante et, plus il avance dans son examen, plus il tremble de surprise et de crainte ; enfin il s’écrie qu’un danger le menace, danger mal défini mais extrême. Alors Tibère l’embrasse, le félicite d’avoir deviné le péril et lui promet le salut et, prenant pour des oracles ce qu’il venait de lui dire, il l’admet désormais parmi ses amis les plus intimes ».
Bien que la pratique de l'astrologie remonte à des millénaires et la Mésopotamie, la façon de la pratiquer à travers les âges est très complexe et diverse, d'autant qu'aucun "mode d'emploi" accompagnait la découverte de ce disque, on s'en doute. Le "Devin" qui l'a utilisé connaissait sa méthode par coeur et elle faisait sans nul doute partie de ses secrets les mieux défendus. Comme de tous temps, les détenteurs du savoir réservaient leur science et son enseignement à une classe d’initiés (ce qui explique d'ailleurs en partie la lenteur de l'évolution humaine, malheureusement !).
La question de l’usage du disque est encore problématique et ouverte aux hypothèses. Toutefois, après avoir étudié de nombreux horoscopes retrouvés sur des papyrus égyptiens de toutes époques (ptolémaïque, romaine et byzantine), Patrice Cauderlier proposa en 2006 une interprétation possible du disque de Chevroches et de son mode d’utilisation :
« L’astrologue commençait par poser sa carte du ciel (sur papyrus ou sur une tablette en bois par exemple) avec le plan de l’écliptique médian (orienté vers le haut du ciel), sur lequel il installait deux signes zodiacaux (par exemple Taureau et Scorpion, comme pour l’horoscope de Triphon). Puis, grâce à des tables de calcul (notamment les « Tables de Théon » connues dans la littérature antique), il déterminait le sommet de la voûte (milieu du ciel) et l’hypogée (bas du ciel) et ensuite, il établissait la position des planètes en gardant la carte du ciel devant lui. En faisant pivoter la tablette de 180°, il écrivait les noms des signes du zodiaque. Grâce à un instrument comme le disque de Chevroches, l’astrologue pouvait ainsi reporter les données du jour pour établir l’horoscope de son client ou bien chercher, dans l’avenir, quels jours futurs pourraient lui être favorables ».
Il est évident que la pratique de cette discipline est complexe et demande l’assimilation de très nombreuses notions spécifiques, qui ont d'ailleurs fait l'objet de centaines de livres au fil du temps et de ses pratiquants...
L’instrument astrologique de Chevroches est bel et bien extraordinaire ; il semble jusqu’à présent l'unique exemplaire qui nous est parvenu depuis le monde antique. Toutefois d’autres témoignages des pratiques astrologiques en vogue durant l’époque romaine sont attestées par ailleurs. Parmi ceux-ci, il est utile de rappeler une découverte archéologique tout aussi rare, effectuée sur le site de Grand (Vosges) à la fin des années 1960.
http://www4.ac-nancy-metz.fr/musee88/oeuvres2008/05.jpg
Il s’agit de deux diptyques pliants en ivoire d'éléphant comportant une carte du ciel organisée en zodiaque où les figures étaient rehaussées dans le creux, de rouge, de noir et d’or. Ces tablettes se divisent en 4 zones concentriques où figurent notamment le soleil et la lune, les 12 signes zodiacaux dont l’iconographie paraît d’une étonnante modernité, et les 36 décans représentés sous l’aspect d’une divinité égyptienne, dont le nom est indiqué sur la dernière ligne concentrique, transcrit en caractères grecs. L’ensevelissement de ces tables savantes est daté par l’archéologue J.-P. Bertaux, des années 170 ap. J.-C.
Découvert en 1897 dans l’Ain, le calendrier fragmentaire de Coligny témoigne lui aussi de la complexité du savoir traditionnel gaulois. Mais cet objet ne révèle pas de nom de divinité identifiable avec certitude. Et les indications restent trop obscures pour reconnaître les fêtes sacrées annuelles… Un autre calendrier trouvé en Gaule situerait la fête d’Épona le 15 décembre. Gravé dans le bronze, le calendrier de Coligny est à ce jour le plus long document en langue gauloise connu. Mais un certain nombre de mots sont encore à déchiffrer… Du point de vue de l’astronomie, ce calendrier, à la fois lunaire et solaire, est exceptionnel. On peut y découvrir l’ajout de mois intercalaires pour tenter de faire concorder les phases de la Lune et l’année solaire…
Sources : F. Devevey, P. Cauderlier, Cl. Magister et C. Vernou ; Découverte d’un « disque » astrologique antique à Chevroches (Nièvre) - Note de présentation. Revue archéologique de l’Est, t. 55-2006, p. 299-306.
https://rae.revues.org/723
https://rae.revues.org/1269
https://grand-cercle-celtique.com/2014/01/08/objet-archeologique-dexception-le-disque-astrologique-antique-de-chevroches-nievre/
https://blogostelle.blog/2016/01/16/culte-des-sources-et-piete-en-gaule-romaine/
Yves Herbo, Sciences-Faits-Histoires, https://herboyves.blogspot.com/, 15-09-2017