L'antique cité en partie engloutie de Phanagorie
Un vase en terre cuite en forme de sphynx, 5ème siècle avant JC. L'une des 26 pièces similaires découvertes dans une nécropole féminine ("prêtresses de Déméter») près de Phanagorie. Exposées au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg.
Nous ne nous éloignons pas tellement des régions qui nous ont intéressées avec déjà plusieurs articles les concernant. Des régions en fait peu connues et pourtant très importantes historiquement, tant dans la Préhistoire, l'Antiquité et les temps modernes (Le Caucase, le Bosphore, la Crimée, l'Ukraine, la Georgie, la Mer d'Aral, la Mer Noire, la Caspienne, etc...)
La Fondation Deripaska Volnoïe Delo Oleg, l'un des plus grands organismes privés de bienfaisance en Russie, annonce qu'un ancien bélier naval de bronze (l'arme de guerre) trouvé dans une section immergée de l'ancienne Phanagorie, qui était à une époque la plus grande colonie grecque sur la péninsule Taman, près de la mer Noire dans le sud de l'actuelle Russie, a été nommée découverte la plus remarquable de l'année en Russie par les magazines Science et Life.
Le bélier naval de bronze a été trouvé par des archéologues parmi les vestiges sous-marins de l'ancienne ville de Phanagorie au cours de la 10e saison archéologique, en 2014. Le bélier faisait autrefois partie d'une birème, un ancien navire de guerre à rames, avec deux jeux de rames. Le navire de guerre a servi l'armée de Mithridate VI, roi du Pontus de 119 à 63 av. JC. Mithridate VI a été considéré comme le roi le plus puissant en Anatolie au cours du 1er siècle avant JC. Souvent appelé le plus grand ennemi de Rome, il a fait trois guerres contre la république romaine.
Le bélier naval en bronze repêché (disposé à l'origine à l'avant du bateau)
La découverte a mis en lumière l'histoire des rebellions dans Phanagorie, qui ont conduit à l'éviction du roi. La birème, trouvée en 2012, que l'on pensait à première vue être un ancien navire marchand byzantin, s'est avérée en fait être un navire de guerre grâce à cette découverte du long bélier d'un mètre en 2014, qui indique au contraire que le navire avait été utilisé par l'armée de Mithridate pour réprimer les manifestations. L'examen des restes suggère que le navire a été incendié par les manifestants en 63 avant JC. Le navire est maintenant en cours de restauration et sera exposé au musée de l'État de Phanagorie, qui sera construit près du site archéologique.
L'historien romain Appien et l'historien grec Plutarque ont mentionné un soulèvement dans toute la ville de Phanagorie en 63 avant JC, qui a culminé avec l'incendie d'un bâtiment public énorme et l'assassinat des enfants de Mithridate et d'une de ses épouses, Hypsikratia. Cependant, il n'y avait aucune preuve matérielle de ces événements jusqu'en 2006.
fragment de vase trouvé à Phanagorie
En 2006, les scientifiques impliqués dans l'expédition archéologique de Phanagorie ont découvert une pierre tombale de marbre inscrite avec une épitaphe à " Hypsikrates, épouse de Mithridate VI." Dans ses essais, Plutarque a appelé Hypsikratia comme une femme "qui, en toutes occasions, a montré l'esprit d'un homme et d'un courage désespéré, et en conséquence le roi Mithridate VI l'a reconnu pour l'appeler son Hypsikrates [la forme masculine de Hypsikratia]." L'Archaeological Institute of America avait nommé cette trouvaille l'une des dix plus importantes découvertes en 2009. Ainsi, le Bélier du navire continue une série de nouvelles découvertes qui permettent de découvrir l'histoire du soulèvement de Phanagorie, tout en faisant correspondre les récits historiques.
Les scientifiques ont commencé à explorer la vieille ville de 2.550 années de Phanagoria de nombreuses années auparavant, quand elle est devenue une partie essentielle de l'Empire russe. La phase active de l'exploration, cependant, a commencé il y a seulement quelques années, ce qui signifie que les archéologues et les historiens sont presque certain de trouver plus d'artefacts et de renseignements relatifs à Phanagorie, une zone qui a été comme un pont entre l'Est et l'Ouest pendant 1.500 années.
La Fondation Delo Volnoe, un des plus grands fonds de bienfaisance détenu par des privés de la Russie, géré par l'homme d'affaires et industriel Oleg Deripaska, a soutenu des activités de recherches liées au site depuis 2004. La Fondation a alloué plus de 10 millions de dollars pour le site de Phanagorie au cours des 10 dernières années. Aujourd'hui, l'enquête Phanagorie est considérée comme l'une des expéditions archéologiques les mieux équipées en Russie, avec son propre centre scientifique et culturel, des équipements hi-tech de dessus du sol et de fouilles sous-marines et une équipe diversifiée de spécialistes impliqués dans le travail de terrain. Outre les archéologues et les historiens, il y a des anthropologues, pédologues, paléozoologistes, numismates et autres chercheurs. Une approche complexe de l'étude des vestiges culturels de Phanagorie a aidé à comprendre la façon de vivre des anciens résidents, les croyances religieuses, la coopération économique, ainsi que leurs rôles dans les conflits militaires.
Parmi les récentes découvertes faites dans Phanagorie, il y a les restes d'un palais de Mithridate VI en date du 1er siècle avant JC, un tombeau antique avec un plafond à gradins, le plus ancien temple découvert sur le territoire russe datant du 5ème siècle avant JC, et un certain nombre d'objets immergés, par exemple, les rues de l'ancienne ville recouvertes de sable, les structures portuaires de Phanagorie, et les débris du navire.
Les fouilles couvrent plusieurs domaines, y compris l'Acropole de 2.500 mètres carrés au centre de l'ancienne ville, la nécropole orientale, un ancien cimetière qui a servi de lieu de sépulture dès la fondation de la ville, et une section immergée de la ville.
L'Histoire de Phanagorie
Fondée au milieu du sixième siècle avant JC par des colons grecs, la ville était l'une des deux capitales du Royaume du Bosphore, un ancien état situé en Crimée orientale et sur la péninsule de Taman. Phanagorie était le principal centre économique et culturel de la région de la mer Noire, l'une des plus grandes villes grecques, la première capitale de la Grande Bulgarie, et l'une des principales villes du Khazar Kaganate. C'était aussi l'un des anciens centres du christianisme. Saint André est supposé avoir prêché dans Phanagorie. La ville possède la plus grande communauté juive dans la région de la mer Noire : la première synagogue en Russie a été construite en Phanagorie au 16e siècle de notre ère.
Au cours des 9° ou 10° siècles, les résidents ont abandonné la ville pour des raisons encore inconnues (la montée des eaux ?). Phanagorie est entourée de la plus grande nécropole de la Russie, couvrant une superficie de plus de 300 hectares. Le volume total des couches culturelles se compose de 2,5 millions de mètres cubes de sol avec une profondeur jusqu'à sept mètres. Aucune construction ne s'est produite dans la ville depuis les temps anciens, ce qui a contribué à préserver les ruines et les artefacts historiques. Des expéditions archéologiques régulières ont été menées dans Phanagorie depuis la fin des années 1930. De nos jours, seulement deux pour cent de la zone connue de la ville ont été étudiés.
Phanagorie est située sur la côte asiatique de l’actuel détroit de Kertch, l’antique Bosphore Cimmérien, entre la presqu’île de Kertch et la presqu’île de Taman. Phanagorie a été fondée au milieu du VIe siècle avant JC (vers -543), par des fuyards de la cité de Téos, en Asie Mineure, qui, selon Hérodote, avaient dû quitter leur patrie menacée par les Perses. Elle joua, face à Panticapée, l’actuelle Kertch, un rôle majeur durant toute l’Antiquité. C’était, en quelque sorte, la seconde capitale, orientale, du royaume grec du Bosphore. La ville cessa définitivement d’exister au début du Xe siècle, pour des raisons inconnues pour l'instant.
Le site photographié d'avion en 1960
La cité était installée en bordure du golfe de Taman et s’étageait sur deux plateaux, l'inférieur ayant été submergé. La partie aujourd’hui visible du site couvre une surface d’environ 1 000 m sur 400 m, auxquels il faut ajouter ce qui a été submergé par les eaux du golfe. La ville ancienne couvre en réalité une superficie de plus de 60 hectares. Particulièrement riche, la couche archéologique, de 6 à 7 m d’épaisseur, recèle une très grande quantité de vestiges archéologiques qui se sont accumulés au cours des quelque seize siècles de l’existence de la cité. En effet, à la différence des autres sites grecs de la presqu’île de Taman, et de nombre d’autres villes antiques de la mer Noire et de la Méditerranée, Phanagorie a été construite non pas sur le rocher, mais sur un sol sableux ou argileux (loess), si bien que les niveaux d’occupation, peu ou pas nivelés au cours du temps, s’y sont superposés depuis l’époque archaïque jusqu’à l’anéantissement de la ville, offrant une stratigraphie d’une grande richesse.
Vue de la nécropole (au premier plan) et du site de Phanagorie en 1859 (dessin de
K. Goertz).
Malheureusement, l’état de conservation des vestiges architecturaux est très mauvais. Faute de carrières proches, les habitants ont, au long des siècles, pillé les structures anciennes, réutilisant leur matériau pour construire. D’un bâtiment ne reste, dans la plupart des cas, qu’un ou deux fragments de murs, ce qui rend souvent extrêmement aléatoire la restitution du plan et des dimensions des maisons. À Phanagorie, pendant les périodes grecque et romaine, on construisait les bâtiments d’habitation en pierre pour les fondations et en brique crue pour les murs. Les restes de maisons en briques crues appartenant à la plus ancienne période de l’histoire de la ville sont rares. Les maisons de cette époque étaient de construction simple et de dimensions modestes : de plan carré ou rectangulaire, elles avaient une surface de 15 à 20 m2. Les bâtiments de Phanagorie étaient séparés par des rues et des ruelles, les plus grandes faisaient environ 2,50 m de large, et les petites ruelles 0,50 m tout au plus.
La Phanagorie de l’époque classique était une cité grecque typique, comme en témoignent les nombreux objets associés aux différentes activités retrouvés au cours des fouilles. On prendra donc garde à l’opinion très répandue considérant le Royaume du Bosphore comme un État gréco-barbare. Sans doute l’explication psychologique de ce point de vue repose-t-elle avant tout sur le facteur géographique : le Royaume, situé aux confins de l’oikouménè grecque, était entouré de nombreuses tribus barbares. Les partisans de cette manière de voir les choses s’appuient sur plusieurs arguments, qui vont de la présence de constructions non grecques, comme les huttes, et de celle de tumuli scythes (les kourganes) sur le territoire des nécropoles des villes bosporanes, jusqu’à l’existence d’un art dit « gréco-scythe », mais jusqu’à présent aucune tentative systématique pour justifier ce point de vue n’a été entreprise. Cette thèse prête néanmoins à bien des objections, aussi bien d’ordre général que très concrètes. Ainsi, la cité grecque était un monde clos et la présence d’étrangers, y compris des barbares, ne changeait point sa structure.
Selon les sources écrites, les villes du Bosphore fournissaient à la Méditerranée du blé, en échange de vin, d’huile d’olive, etc. Étant donné la fertilité du sol dans la presqu’île de Taman, il semble que l’essentiel du blé du Bosphore y ait été produit. Nous ignorons les dimensions du territoire agricole dont Phanagorie tirait sa subsistance, mais, à en juger par la localisation des cités voisines, il mesurait quelques dizaines de kilomètres carrés. Quoi qu’il en soit, il est évident que Phanagorie était l’un des principaux fournisseurs du blé qui, par l’intermédiaire de Panticapée, approvisionnait Athènes et d’autres cités méditerranéennes au IVe et au début du IIIe siècle av. notre ère. D’où l’abondance d’amphores et d’autres objets importés dans la couche du IVe siècle par rapport aux siècles précédents et suivants. À cette époque, Phanagorie était un marché qui centralisait l’échange de marchandises avec les régions adjacentes à la partie asiatique du Bosphore, comme Strabon le rapporte pour des temps plus récents (XI.2,10).
Une des trouvailles les plus remarquables est celle d’un trésor de monnaies d’argent de l’époque archaïque. Les premières monnaies apparaissent sur le territoire du futur royaume du Bosphore au milieu ou dans le troisième quart du VIe siècle av. notre ère. Elles étaient frappées à Panticapée et portaient sur l’avers un mufle de lion et sur le revers un quadratum incusum. Le trésor de Phanagorie a été découvert dans une petite olpè ionienne cachée dans le mur en briques crues d’une maison. Elle contenait 162 pièces dont 8 sont des drachmes. On a donc trouvé d’un seul coup à Phanagorie plus de pièces du VIe siècle av. notre ère qu’on n’en connaissait jusque-là.
On notera une trouvaille exceptionnelle au sein d’un tumulus, dans lequel on a découvert une construction faite de deux murs parallèles en pierre, l’un à l’est et l’autre à l’ouest, avec une couverture de rondins entièrement décomposés. Une fois les rondins enlevés est apparue une structure inhabituelle dont il était bien difficile de comprendre d’emblée la destination fonctionnelle. Elle était composée de blocs travaillés de calcaire coquillier disposés en cercle en six assises qui formaient comme une sorte de rosette à multiples pétales imbriqués. La clé de cette énigme est apparue après l’enlèvement des deux blocs couronnant l’ensemble de la construction. Cette dernière s’est révélée un caveau rond en pierre avec une voûte en encorbellement dont la rosette à multiples pétales formait l’extérieur. Au caveau conduisait un dromos en forme de corridor couvert de gros rondins. Le caveau avait 2,87 m de haut et 2,45 m de diamètre. Il était vide. Trois blocs manquaient dans le coin droit supérieur de l’entrée qui était barrée de pierres. C’était par là que les pillards étaient entrés. Quasiment aucun vestige d’inhumation n’y fut retrouvé, si ce n’est, sur le sol, des traces de bois témoignant de ce qu’il y avait eu là un sarcophage en bois. Un seul objet, une monnaie en bronze de Panticapée datée du IVe siècle av. notre ère, a été trouvé sur le sol de la chambre.
On connaît à l’heure actuelle dix-huit tombes à voûtes en encorbellement, dont la majorité ont été découvertes en Crimée. Elles sont toutes de plan carré ou rectangulaire. Celle de Phanagorie représente un nouveau type de tombeau, avec une chambre de plan circulaire à coupole arrondie. Les tombes à voûte en encorbellement constituent un phénomène caractéristique de l’architecture funéraire du royaume du Bosphore. De longue date les chercheurs tâchent d’en retracer les origines.
Phanagorie est un terrain favorable pour l’archéologie sous-marine. À peu près un tiers du site est submergé par les eaux du golfe de Taman. On notera que la mer n’y est profonde que de trois mètres. Dans la zone située près de la côte, on peut voir non seulement de nombreux fragments de céramique antique et médiévale mais aussi des vestiges de constructions en pierre. La carte bathymétrique a montré que la partie submergée de Phanagorie correspondait à une bande qui apparaît marquée par diverses nuances de jaune et mesure de 200 à 270 m de largeur du nord au sud, sur environ 1 km de longueur d’est en ouest. Il en résulte que la partie submergée de Phanagorie couvre environ de 22 à 25 ha. Quant à l’élévation du niveau de la mer au cours des deux derniers millénaires et demi, nos observations sous-marines montrent qu’elle n’a pas excédé trois mètres (tout de même). Dans la partie submergée de Phanagorie, les fonds sont couverts par une couche de sable et de vase dont l’épaisseur varie de 30 à 70 cm.
Non loin de la limite occidentale du site, à 120 m du littoral, on a trouvé l’angle d’un bloc de marbre. Le fond à cet endroit est couvert de sable et d’algues. Après nettoyage, par une drague suceuse, d’un secteur d’une superficie de 100 m2 on a découvert sous la couche de sable un amas de pierres qui se sont révélées être des blocs de construction, des détails architecturaux, des fragments de statues en marbre et des inscriptions. La plus grande partie appartenait à un bâti de bois fait de grosses poutres. Quatre inscriptions présentent un intérêt très particulier. La première inscription porte sur la restauration d’un portique ; la deuxième est une dédicace du roi Aspourgos ; la troisième orne le piédestal d’une statue du roi Sauromatès II ; quant à la dernière, elle n’est autre que l’épitaphe de la femme de Mithridate VI Eupator, Hypsikratia, appelée par son surnom masculin, le même décrit par Plutarque.
Ces inscriptions repêchées sont très importantes historiquement car elles confirment des écrits historiques de Plutarque et même informent sur le nom d'un roi et son origine inconnue jusqu'à présent (voir le lien sur la communication archéologique ci-dessous pour plus de détails).
Sources : Press release of the Volnoe Delo Oleg Deripaska Foundation
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_2006_num_150_1_86934 (extraits)
Youtube
Yves Herbo Traductions, Sciences, Faits, Histoires, 09-02-2015