Le plus ancien fossile de primate bouleverse les données
L'analyse détaillée d'un fossile découvert en Chine (!) il y a 10 ans révèle qu'il s'agit du plus ancien primate connu à ce jour : un minuscule mammifère vieux de 55 millions d'années, et baptisé Archicebus Achilles.
Rien, sans doute, ne destinait ce squelette à remporter la palme du plus ancien fossile de primate. Il y a une dizaine d'années, un amateur de poissons fossiles découvre cet étrange spécimen dans une carrière de la province du Hubei, en Chine. Intrigué, il le montre à Xijun Ni de l’Académie des Sciences de Pékin, venu effectuer des fouilles dans la région. Le chercheur identifie immédiatement le fossile comme celui d'un primate. Dix ans plus tard, des analyses poussées permettent enfin d'en savoir un peu plus sur ce lointain cousin des êtres humains, baptisé Archicebus achilles. Les résultats, publiés dans la revue Nature du 6 juin 2013, montrent que cet animal vivait il y a 55 millions d’années, soit 7 millions de plus que les plus anciens primates connus à ce jour (y compris en Afrique !).
De radiographie en radiographie
Ce fossile est exceptionnellement bien conservé. Il est complet, mais il est aussi très fragile. Enchevêtré dans de la roche de calcaire marneux, il est séparé sur deux plaques. « Étant donné sa petite taille, il était trop risqué de dégager le squelette manuellement », explique Paul Tafforeau l’un des auteurs de l’étude.
Paul Tafforeau
Xijun Ni et son équipe ont d'abord essayé d’utiliser des techniques d’imagerie traditionnelles, par absorption de rayons X, pour analyser l’objet sans l’abimer. Néanmoins, les résultats n'étaient pas satisfaisants, « le fossile était trop plat pour être scanné, précise le chercheur. C'est alors qu'ils se sont tournés vers nous, au synchrotron de Grenoble (ESRF) ».
Paul Tafforeau est paléoanthropologue de formation. En travaillant à l'ESRF, il a développé des méthodes pour adapter la technologie du synchrotron à l'observation des fossiles. Chargé d’examiner les plaques de Xijun Ni, il a utilisé « l'imagerie en contraste de phase à rayonnement synchrotron ». Un procédé totalement non invasif qui dévoile d’infimes détails. Les simulations 3D sont réalisées à partir des clichés obtenus.
Diurne et minuscule
Grâce à ces vues en trois dimensions du squelette, il est possible de déterminer l’allure que devait avoir Archicebus achilles. Avec un tronc d’environ 71 mm et un crâne de près de 25 mm de long pour 17 mm de large, sa taille devait avoisiner les 13 cm. En se basant sur les équations reliant la masse corporelle à la surface des molaires pour les primates actuels, les chercheurs estiment son poids entre 20 et 30 grammes. Il serait donc aussi petit que le lémurien microcèbe pygmé de Madagascar !
Ses petites dents pointues montre qu’il était probablement insectivore. Plus surprenant, la forme large des cavités orbitales du squelette indique que l’animal menait ses activités le jour alors que la vie des primates primitifs était supposée nocturne.
« C’est un fossile intéressant, qui montre des choses inattendues, souligne Marc Godinot responsable du laboratoire d’évolution des primates à l’École pratique des hautes études (EPHE). C’est une surprise de découvrir une si petite espèce spécialisée aux sauts, à une époque si précoce. » Certaines particularités de l’ossature suggèrent en effet qu'Archicebus sautait sur ses quatre membres pour se déplacer. « Un nouveau squelette, un nouveau primate et un nouveau mode de locomotion : autant d'éléments qui prouvent une évolution rapide. »
Simiiformes ou tarsiiformes
Pour chaque nouvelle espèce fossilisée découverte se pose la même question : où la placer sur l’arbre phylogénétique ? Pour les scientifiques chargés de l’étude, ce primate possède « une mosaïque de caractéristiques des haplorhiniens », la famille dont descendent les singes et les hommes. Cependant, il détient également des traits spécifiques aux deux sous-familles de ce groupe. Au niveau du pied, la forme de l’os calcanéen et les proportions du métatarse rappellent les simiiformes (lignée de l’homme) alors que le crâne ou la dentition indiquerait plutôt une appartenance aux tarsiiformes (lignée des tarsiers). Finalement, la comparaison de caractères morphologiques et de données moléculaires classe Archicebus achilles au tout début de la branche des tarsiiformes.
Un individu datant de l’Eocène, il y a entre 55,8 et 54,8 millions d’années, si proche de ces deux familles, incite à penser que ces deux groupes se sont séparés plus tôt que ce qui était imaginé. Plus encore, c’est la distinction des haplorhiniens avec les ancêtres des lémuriens qui pourrait être antérieure. Marc Godinot invite cependant à ne pas se précipiter vers ces conclusions, « c’est un fossile très difficile à étudier. J’attends avec impatience une monographie détaillée de la façon dont ils ont procédé. »
S’il n’est pas encore temps pour des constats définitifs, il est sûr qu’Archicebus achilles pose déjà de nombreuses questions qui doivent être approfondies. Sa localisation géographique par exemple, car comme le précise Paul Tafforeau « beaucoup attribuaient l’origine des primates à l’Afrique et non à la Chine. » Une découverte qui devrait engendrer de nouvelles hypothèses de recherche.
Ida, un prédécesseur médiatisé
Archicebus achilles vient de détrôner Darwinius massillae, qui était jusque-là l’un des plus vieux fossiles de primate. Plus connu sous le nom d’Ida, la campagne de communication autour de ce fossile, en partie reconstitué, a défrayé la chronique. Découvert en 1983 à Messel en Allemagne, Ida appartient à la branche des lémuriformes. Il est donc un ancêtre des lémuriens. Pourtant en 2009, une équipe internationale de chercheurs le présente comme le chaînon manquant ! Un échauffement médiatique qui ira jusqu’à la diffusion aux États-Unis d’un documentaire intitulé « le chaînon ».
Pour en savoir plus : Controverse autour d’Ida
SFH-06-2013