Légendes de la cité disparue de Taricum, ou de la Fille du Roi Arthur...
Sarcophage d'un premier chrétien, Toulx Sainte Croix (wikipedia)
Au cours des jours et des semaines à venir, vous lirez beaucoup d'articles présentant des légendes des régions du Bourbonnais et de l'Auvergne... ce n'est pas pour rien, je suis arrivé dans ces contrées qui, comme la plupart des régions de France, recèlent encore de nombreuses légendes et contes nous provenant des lointains âges pour beaucoup, et dont la tradition orale se perd malheureusement de plus en plus. Les origines celtiques de notre ethnie bien répandue dans toute la France font que nos légendes, du Nord de la France à la Provence, possèdent toutes un tronc commun au niveau des mythes très anciens liés notamment aux menhirs, dolmens ou autres Pierres Levées que l'on découvre encore (bien que des milliers aient disparues au fil des âges) dans pratiquement toutes des régions françaises... c'est donc tout naturellement que je commence cette série d'articles par des légendes liées à ces Anciennes Pierres Sacrées, à l'aide d'ouvrages déjà anciens eux-mêmes, découverts dans des bibliothèques locales (comme celle de Dompierre-sur-Besbre par exemple pour aujourd'hui)...
Ces histoires et références sont issues des archives du Chateau de la Garde, sis à la Celle-sous-Montaigut, où elles ont été découvertes par Octave-Louis Aubert en 1944 et décrites dans son ouvrage "Légendes traditionnelles du Bourbonnais - Tome 1" paru en 1946 et réédité en 1998 par la SEPEC.
D'après cet ouvrage, trois centres mégalithiques existaient encore dans le Bourbonnais à l'époque de sa rédaction. Le premier se situe au sud-est, dans le canton de Mayet-de-Montagne, aux abords du village de la Chabanne. Il s'agit des Pierres-Courtines, mais en fait tout l'environnement et ses appellations font appel aux souvenirs des cultes druidiques, que l'on parle du Bois-Noir ou des Monts de la Madeleine, où l'on trouve encore les pierres à bassins et des dolmens. Sur Saint-Nicolas-des-Biefs, le Ré-des-Dieux et le Ré-de-Mussi ont pour voisin le menhir de la Pierre du Charbonnier. Situé sur le hameau de Gaulourdier, cette Pierre Levée se nomme ainsi à cause de ses sombres reflets. Sur la commune de Lavoine, au village de Malichard, existe le Champ-des-Rocs, qui se nomme ainsi car rien n'y pousse : il est couvert de petits menhirs et de grosses pierres, que la légende affirme avoir été jetées ici par le dieu romain géant Tanaris Lithobole (lithos : pierre, bolos : lancer), à moins que ce ne soit par le géant Gargantua. Il y a plusieurs Pierres sur Saint-Clément, avec la Pierre du Barde, la Pierre Maligne, les Pierres Folles, la Palle ou Pallus. Des alignements (un peu comme à Carnac en Bretagne, sans être aussi importants, ont longtemps été visibles à côté du village de Cressanges, mais ont totalement disparu vers la moitié du 19ème siècle, malheureusement. Une légende tenace est reliée à la Pierre qui Danse, à Saint-Léon : elle serait une fée transformée en menhir, et des histoires racontent qu'elle tourne et danse à minuit, les soirs de pleine Lune...Seulement, même si de nombreux jeunes garçons et filles se sont cachés pour la surprendre, comme elle est toujours fée, elle sait qu'on la regarde et ne bouge pas tant que c'est le cas...
Sans que l'on en sache vraiment la raison, un gros dolmen est surnommé le Dolmen de la Femme, près d'Arfeuilles. Il y a aussi les monolithes de Hyds, sur la route de Saint-Pourçain-sur-Sioule, qui ne sont plus que des vestiges usés... la légende dit que le plus gros ne serait en fait qu'un caillou que Gargantua aurait retiré de son soulier, quand il traversait le pays à grandes enjambées pour se rendre au village cité. Pour finir avec ce premier groupe, nous trouvons encore les menhirs d'Estivareilles, qui ont été christianisés, et qui se nomment maintenant la Croix Brousseau et la Croix de la Grenouillère...
Un exemple de menhir christianisé à Venas
Les autres noms des lieux où se situent le deuxième groupe de monolithes ont incontestablement une étymologie celtique également : ils se trouvent tous deux en Combraille (Combe, vallée étroite et profonde). Avec l'un qui se dresse sur les flancs de la colline de Toul-Sainte-Croix (Creuse) ou plutôt Toulx (Vallon dans sa racine celtique) et l'autre sur le sommet du Mont Burlot, avec les Pierres Jaumâtres qui regroupent la Pierre du Jugement, ou des Oracles, dénommée encore Teutatès, ou encore les Pierres Dep-Nell, ou "sans chef". Notons que la Pierre des Oracles ne tient sur son bloc de base que par miracle d'équilibre et que l'on assure qu'elle oscille et vibre lorsque le vent d'ouest (provenant de la Bretagne Armoricaine) souffle dans les forêts voisines...
Les Pierres Dep-Nell, George Sand s'est inspirée de ce lieu pour l'une de ses nouvelles trouvable dans "Légendes Rustiques"...
Le troisième groupe, qui n'est pas très très loin du second, se trouve sur les landes de la Tanière, entre le village de Fontanat et le hameau des Jarges, plus précisément à l'endroit où la route de Saint-Martinien à Treignat croise celle d'Archigniat : ce sont les Pierres-Giraud ou Girods. Et ces deux groupes proches l'un de l'autre font d'ailleurs l'objet d'une très ancienne légende liée à l'existence de deux très anciennes villes, qui y auraient existé il y a plus de vingt siècles. Ces monolithes sont dispercés sur de vastes étendues incultes et d'ailleurs incultivables tant il sont encombrés de cailloux et de pierres qui percent de partout les genêts, bruyères et herbes folles, et qui donnent l'impression d'une multitudes de pierres résultant d'une formidable explosion ayant disloqué les murailles d'anciennes et importantes cités. La première, dont les Romains s'emparèrent lors de la conquête des Gaules, reçut de ses envahisseurs le nom de Taricum, disent les uns, de Tullum, disent les autres. Ce qui est certain, c'est qu'on a retrouvé à cet endroit les substructions de camps établis par les occupants. De la seconde cité on ignore l'ancien nom.
Des légendes celtiques (ou en ayant l'âme) s'attachent à la disparition de ces deux villes. Un peu comme le furent Is ou Occismor chez les Armoricains, ces deux villes auraient été anéanties en punition de leur débauche, voire des crimes de leurs habitants. Mais au lieu d'être englouties par les flots de la mer, elles furent, comme Sodome et Gomorrhe, dévorées par le feu et englouties par la terre. D'ailleurs, tout comme Is et les autres "Atlantides" bretonnes, ces villes ne sont pas réellement mortes : elles continuent de subsister dans les profondeurs, avec leurs maisons, leurs temples ou leurs églises, leurs marchands et leurs habitants, en attendant le jour où elles reviendront à la lumière et reprendront le cours interrompu de leur existence...
D'autres récits font état de la possibilité que ces villes antiques aient en fait succombées sous les coups de barbares venus de l'est, bien avant l'ère chrétienne, lors des invasions, aux premiers siècle de l'Histoire. Une seule chose de certaine pour les spécialistes : les mégalithes de Toulx-Saintes-Croix et de Fontanat sont bien les vestiges d'anciens temples druidiques. Leur disposition évoque celle des cromlechs. Au milieu se voit la pierre des sacrifices, creusée de cavités à la forme du corps humain, de rigoles par lesquelles s'écoulait le sang et de bassins où les sacrificateurs déposaient les entrailles de la victime pour en tirer des oracles. L'enceinte de ces sanctuaires est délimitée par des Pierres Levées ou menhirs de hauteurs différentes, placés de distance en distance. Les pierres sur lesquelles s'accomplissaient les sacrifices sont plus élevées que les autres et dominent une grande étendue du pays.
Sur place, on s'imagine sans peine une foule se pressant debout, tout autour, sur le flanc des collines, assistant aux assemblées culturelles des solstices et des équinoxes, à l'égorgement de l'homme, de la femme, ou de l'animal offert en holocauste aux manes de Teutatès, Père du monde ou encore de Belem, dieu du Soleil, et lançant vers le ciel des " évohés " d'acclamations triomphales... Les branches des chênes très nombreux à l'époque étendaient leurs rameaux verts et dentelés sur l'autel ou dolmen, d'où s'élevait la voix des duidesses, virginales sujettes de Tad, pour invoquer les dieux, avant de procéder avec leurs faucilles d'or à la coupe du gui...
Les noms des Pierres sont assez parlants en eux-mêmes, et sont parvenus jusqu'à nous : la Pierre du Plaid paraît indiquer que les druides rendaient devant elle leurs sentences de justice ; l'autre se nomme la Pierre de l'Oracle et ses oscillations, comme celles des rolers de Grande et de Petite Bretagne, fixaient les destinées humaines de l'époque. Même la vallée où coule un ruisseau qui descend de Fontanat vers la Majeure, est appelée le "vallon des tombeaux" : l'emplacement probable d'une ancienne nécropole celtique...
Mais revenons à cette mystérieuse cité disparue, nommée Taricum ou Tullum par les Romains de Jules César. Avant de vous conter la légende de cette ville, étroitement liée à celle de la fille du Roi Arthur (et oui !), je vais parler des vraies recherches archéologiques, étymologiques et géographiques qui ont été faites par J. F. Baraillon, ancien député de la Creuse, membre du Corp législatif, correspondant de l'Institut de France, de la Société galvanique de Paris, associé regnicole de la Société de médecine de la même ville, associé de celle de Bordeaux, membre non résident de l Académie celtique, etc, etc... dans son ouvrage paru en 1806 "Recherches sur plusieurs monuments céltiques et romains" (éditions Dentu à Paris).
Ainsi, pour Mr. Baraillon, la ville antique de Taricum est assimilable aux ruines de la ville de Toull (Toulx Sainte-Croix dans la Creuse)... qu'il étudie dans son ouvrage, dont voici un large extrait (mais rappelons que ce qui était encore visible en 1806 ne l'est plus probablement de nos jours, malheureusement... et aussi que le texte est en vieux français : il ne s'agit pas de fautes d'orthographe donc, mais d'une autre époque...) :
" Il existe dans le second arrondissement de la Creuse, une montagne appelée "de Toull" : elle domine sur une grande étendue de plaines et de coteaux du département , et même des départements environans, tels que le Puy-de-Dôme, l'Allier, le Cher : son élévation au-dessus du niveau de la mer est d'environ 670 mètres, d'après M. Delambré. C'est sur le sommet de cette montagne, qu'une immense quantité de pierres, les unes amoncelées, les autres éparses, fixent l'oeil du voyageur et provoquent nécessairement son attention, en excitant son étonnement.
Si on parcourt l'espace qu'elles couvrent, on s'aperçoit bientôt qu'elles suivent le contour de la montagne, qu'elles forment plusieurs enceintes circulaires, et que toutes ont été lancées du dedans au dehors.
Pour peu que l'on s'y connaisse, on demeure également convaincu qu'elles ont servi à des murailles, à des bâtimens. Toutes présentent un parement très uni : la plupart sont cependant d'une telle grosseur, que nos ouvriers refuseraient de les employer. Avec du travail et de la patience, on trouve, sous ces amas, les restes des murs dont ils ont fait partie. Ils excèdent souvent d'un quart de mètre la superficie du sol, et on peut aisément voir la forme, l'étendue, la structure des édifices. Ces murs ont, en général, un mètre et jusqu'à un mètre et quart d'épaisseur. Plusieurs, pour parler avec les ouvriers, sont tirés à la sible : c'est-à-dire que les pierres de chaque rang sont échantillonnées, d'égale hauteur et bien ajustées. Il en est qui forment les deux paremens, et rendent de la sorte l'ouvrage très-solide. Il est aussi des murailles à.pierres mêlées, où l'on ne distingue point les assises, ni l'existence d'aucun mortier. Il est constant que les interstices et les vides des pierres ne sont remplis, en certains bâtimens, que de terre végétale, en quelques autres de tuf, et en beaucoup d'argile non gâchée. Les constructeurs ne s'occupaient qu'à bien asseoir, à bien engraîner les moellons, si l'on peut parler ainsi, sans soupçonner combien le mortier, surtout d'une terre glaise très graveleuse, ajoute à la solidité...
Ce fait, je l'avoue, m'a paru d'autant plus extraordinaire, qu'ils connaissaient et savaient employer le mortier de chaux ; j'ai donc dû m'en assurer ; mais toutes mes recherches n'ont servi qu'à me convaincre qu'ils ne gâchaient pas la terre à maçonnerie. Peut-être pourrait-on penser, en considérant la haute antiquité des murs, que le tems a dénaturé le mortier, a détruit le liant, le gluten qui en unissait et soutenait toutes les parties.
Les édifices varient peu entre eux : les uns sont ronds, ainsi que l'énonce Strabon (1), en parlant de ceux des Gaulois ; les autres sont carrés. Il en existe aussi d'oblongs, même d'ovales à une extrémité, tandis qu'ils sont étroits et angulaires à l'autre. Quant aux matériaux de construction, il ne faut pas s'étonner si, dans une ville et un pays où les pierres abondent, on n'a pas bâti en bois, ainsi que l'assurent Vitruve et l'auteur ci-dessus cité (2). II faut nécessairement rapporter, ce qu'ils avancent à ce sujet, aux campagnes et aux parties de la Celtique moins bien favorisées. D'ailleurs Toull avoisine la Marche, et je ne doute pas que cette partie des Gaules ne fût autrefois, comme aujourd'hui, le pays des maçons. Il en existait bien évidemment, puisque César rencontrait chez chaque peuple, des villes populeuses, et bien fortifiées : Plutarque en fixe le nombre à 800. Le plus grand nombre des maisons n'allait pas au-delà de trois ou quatre mètres en oeuvre ; quelques-unes cependant en offrent jusqu'à six. C'était un grand luxe, sans doute, que de pareils abris, si on les compare aux cachettes souterraines dont on parlera dans la suite.
Nous avons découvert l'entrée de quelques-unes de ces maisons. De grosses et longues pierres debout, sans feuillures, sans traces de gonds, ni de crapaudines, formaient les montans des portes; d'autres, que l'on voit à côté, servaient sans doute de linteaux. L'impôt des fenêtres eût été très mal assis sur une pareille ville ; car on peut raisonnablement douter s'il en existait. Nos fouilles ne nous ont procuré que deux seuls assemblages qui formaient une sorte d’œil de bœuf d'un double décimètre, dans sa plus grande ouverture. Le marteau ne parait y avoir concouru que pour très peu : un bloc ayant une échancrure naturelle dans son milieu, fendu, ajusté par ses extrémités, semble en avoir fourni l'idée et fait tous les frais. Nous n'avons aperçu aucune trace de cheminée ; là, comme en certaines chaumières de la Suisse, de la Souabe, le feu se faisait au milieu de l'habitation, et la fumée s'échappait par le toit.
Mais, en parlant de toit, nous nous sommes assurés que les bâtimens n'étaient point couverts de tuiles. On n'en a jamais trouvé, et nous n'en avons nous-mêmes découvert quelques vestiges, à la suite de recherches très minutieuses et très suivies, que dans deux endroits que nous indiquerons : tandis que dans la ville romaine de Néris, également ruinée, et qui fait partie de ces recherches, on marche de toutes parts sur des débris de cette espèce. On peut donc assurer que les édifices étaient couverts de chaume, ainsi que le prononce César à l'égard des Gaulois, et Diodore de Sicile à l'égard des Bretons. Alors, cette toiture pouvait être très élevée, comme le dit Strabon (3), respectivement à celles des Romains qui étaient presque plates, ainsi que l'atteste l'espèce de tuiles dont ils se servaient. Tout porte à croire que les cases, car c'est le nom que méritent ces tristes demeures, étaient très basses, attendu leur construction, la fréquence des orages et l'impétuosité du vent qui désolent cette montagne. Elles étaient d'ailleurs contiguës, entassées sans ordre et très serrées. Les rues, dont on peut apercevoir quelques marques, avaient au plus trois ou quatre mètres de large. Un puits carré, presque comblé, qui se voit au midi, porte avec lui l'empreinte d'une très grande ancienneté. Son contour de granit est usé : il serait difficile d'en indiquer la profondeur.
On rencontre, au centre et au nord de la ville, deux bâtimens aussi remarquables par leurs formes que par leur construction. Celui du nord présente un carré au milieu d'un autre. L'enceinte extérieure du premier est de soixante-neuf mètres et demi, l'intérieur de dix-huit trois quarts. L'interstice vide entre les
deux carrés est d'environ sept mètres. Ici on a employé le mortier de chaux, et, à défaut de sable, de la pierre grossièrement écrasée. Cette pierre tendre est commune dans les environs, et très différente de celle qui a servi aux murailles. On ne trouve dans les décombres aucun reste de tuiles, de briques ou de carreaux : tout porte à croire qu'il n'a jamais été couvert. Celui du centre en comprenait plusieurs autres, dont le plus marquant était une tour ronde. Ce bâtiment, éloigné de 16o mètres du précédent, avait des murs de deux mètres d'épaisseur, construits avec des mortiers de différentes espèces. On y a trouvé d'anciennes armes, mais détruites par la rouille ; et une longue barre de fer, terminée en gond par l'un de ses bouts, du poids d'environ deux myriagrammes et demi. Le premier de ces édifices me rappelle le vestibule ou Porche de l'Autel, près de Pontrieux (Bretagne), dont parle Caylus (4). Il n'en diffère que par sa forme carrée, tandis que le porche de l'Autel est rond. Notre tour ayant été rasée près de terre, ne laisse apercevoir aucune de ses entrées ; nous ne pouvons donc prononcer ni sur le nombre de ses portes, ni sur sa hauteur. Cependant, si l'on en juge par l'étonnante quantité de ses débris, on pourra assurer qu'elle était très élevée et construite des plus grosses pierres. Ses murailles avaient deux mètres d'épaisseur. Elle était située sur le sommet de la montagne, et paraissait correspondre avec les Pierres Jomâtres et Dep-Nell. Je ne doute pas qu'elle ne servît tout à la fois de forteresse et de temple. Les temples des Celtes étaient tous très étroits, ceux qui sont parvenus jusqu'à nous le confirment. Diodore de Sicile en distingue évidemment de deux sortes : d'où il faut conclure qu'il existait chez les Gaulois des petits temples ouverts par le haut sacella, comme ceux de Lanleff (Bretagne) et de Toull, et d'autres plus considérables, delabra, où il existait un simulacre quelconque de la divinité.
Au surplus les temples des Celtes étaient assez fréquemment de forme carrée, et placés entre le midi et le nord. Tel est celui de Chambon.
Si l'on me demandait à quelle divinité le temple de Toull était consacré, je répondrais d'abord avec César (5) , « que la nation entière des Gaulois était très religieuse. » J'oserais même ajouter qu'une pareille ville, si elle existait sous les Romains, devait avoir sa divinité tutélaire, son dieu principal, pour parler avec Minutius Félix, sa dea Tulla ou tarica ; et je citerais en témoignage tant de divinités de cette espèce, dea Bibracte, dea Segusia, dea Vocontiorum, dea Onvanha, Borvo et Mona, Andarte, Arduina, dea Segesta, dea Berecinthia, etc , etc. J'irais même jusqu'à dire, avec l'abbé Mongault (6) qu'elle a pu, ainsi que plusieurs autres, diviniser quelques-uns de ses chefs, de ses magistrats, de ses bienfaiteurs, et j'appuierais cette assertion sur des ruines, des monumens qui se voient dans un village très voisin, et sur le nom celtique de ce même village. En effet le mot bed-ïoun, bed-jun, annonce la présence de tombeaux, sans doute consacrés aux grands hommes de cette peuplade : mais comment les distinguer aujourd'hui entre plusieurs autres ? à moins de considérer comme tels les plus élevés, les plus marquans, ceux qui sont accompagnés d'un plus grand nombre d'inférieurs ; ceux surtout auxquels adhéraient les petits édifices dont on voit encore les ruines et les fondemens ; bedd, sépulcre, ïoun oujoun, du Dieu, du Seigneur. Le second bâtiment occupait le centre de la ville ; ville qui se trouve réduite aujourd'hui, à la suite de plusieurs accidens, à douze ou quinze chaumières. C'était là l'emplacement du château dont quelques bulles et d'anciens titres font mention. C'était sans doute aussi le séjour du prince dont il sera parlé.
Toull avait trois enceintes en amphithéâtre. Le rempart, qui circonscrivait la ville, avait douze cents mètres de circonférence ; il était éloigné de quarante du second, le second de quarante du troisième ; c'est-à-dire, eu égard à l'escarpement du terrain, qu'ils étaient respectivement à la portée du trait et de la fronde. On ne trouve aucune marque de bâtiment dans les interstices, si l'on en excepte celui dont il sera question plus bas. Le premier rempart, le plus interne, avait jusqu'à cinq mètres et demi d'épaisseur ; le second, que l'on peut appeler l'intermédiaire, n'en avait que trois. L'un et l'autre répondaient, par leurs constructions, aux habitations des citadins, qui étaient évidemment de deux sortes ; les unes avec mortier, et les autres sans mortier mais les pierres en étaient infiniment plus considérables. La troisième muraille, la plus extérieure, avait deux mètres de large ; elle différait peu de l'intermédiaire, et devait être peu élevée, si l'on en juge par la petite quantité de ses débris. Le tems a complètement comblé le fossé, si jamais il en a existé un aux pieds de ce dernier. C'est ici le lieu de se rappeler, en considérant ce rempart isolément, que telle était, selon César, la manière de se fortifier des Gaulois. C'est ainsi qu'ils se retranchèrent sous les murs d'Alise (Alesia). On aperçoit encore à Gergoie des murs construits en grosses pierres sèches, hauts de deux mètres, pour se couvrir et arrêter l'ennemi, au rapport de Pasumot (7).
On peut assurer que les derniers rangs de maçonnerie de chaque mur de circonférence étaient terminés par des pierres énormes par leur épaisseur, leur longueur et leur largeur : elles sont encore sur place, et paraissent y devoir rester long-tems. Nous devons ajouter que la montagne elle-même est minée et percée en plusieurs endroits. Je connais un de ses souterrains au nord, entre la seconde et la troisième enceinte, à quatre-vingt mètres environ du temple dont on a parlé, et qui paraît communiquer avec celui-ci. Des coups de masse de fer fortement appliqués sur des corps durs placés sur le sol, en font soupçonner beaucoup d'autres par le bruit et le frémissement qui en résultent (8). On a coutume de lui rapporter tous ceux que le hasard fait assez fréquemment découvrir dans les environs. L'on croit, en conséquence, que ceux de la Chom, de la Clusière, et même de la Garde y vont aboutir (9). Ces mines, ces souterrains confirment encore ce qu'a dit César du savoir des Gaulois en cette partie. Personne ne pouvait mieux en juger que ce vainqueur, auquel ils en avaient donné des preuves en différents siéges, notamment à celui de Bourges. Ces faits, une fois constatés, la tradition orale se trouve parfaitement d'accord avec eux, et le nom celtique de Toull devient très expressif. Ce mot, comme substantif, exprime un trou, un creux, une ouverture étroite, une profondeur ; comme adjectif, il signifie tout ce qui est percé.
Si l'on considère l'immense quantité de pierres que l'on a enlevées, peut-être depuis quatorze siècles, et que l'on enlève journellement pour bâtir ailleurs ; si l'on se représente la multitude incroyable de celles qui ont été successivement enfouies et que l'on enfouit chaque jour ; si l'on examine enfin ce nombre prodigieux de cases qui se pressent pour ainsi dire les unes sur les autres, partout où le cultivateur n'a pu surmonter la masse des décombres, on sera forcé de convenir de l'existence d'une ville infiniment populeuse, relativement à son étendue. Remarquez que celles de Gergoie, Gergovia, et d'Alise, aujourd'hui Bourg-Sainte-Reine, occupaient encore moins de terrain, si l'on s'en rapporte aux meilleures descriptions. Mais cette population ne se bornait pas à une si étroite enceinte. Tout le contour de la montagne de Toull, les vallons, les coteaux, les bois, les champs environnans ont été couverts de maisons. Elles sont absolument les mêmes que celles de l'intérieur, c'est-à-dire très étroites et affectant de préférence la forme ronde ou carrée. Nous ne hasarderons rien en assurant que le nombre des habitans hors la ville, égalait au moins, s'il ne surpassait pas, celui des citadins.
Les villages voisins, parmi lesquels plusieurs portent des noms celtiques, montrent des ruines et annoncent une nombreuse et ancienne population; on doit de préférence citer ici celui de la Mazère. Il existe sur le mont Chabrut ou Puy-Chabrut, à l'ouest de Toull, des traces de bâtimens, même un puits carré qui a dû être très profond. On voit sur le territoire de la Ronzire, au milieu de plusieurs mazures, une petite voûte, en forme de calotte, dont l'intérieur mériterait d'être fouillé ; ce pourrait être un antre de Mythras. De toutes parts, en un mot, dans un rayon assez étendu, dont Toull est le centre, ce sont des ruines et des ruines très anciennes.
(...) D'après cet exposé, je regrette de n'avoir point pénétré dans les souterrains, dans les antres les plus cachés de Toull; mais je n'y renonce pas. C'est là seulement où l'on pourra trouver des armures, des simulacres, des instrumens propres aux sacrifices et autres objets utiles à connaître, qui auront été soustraits à l'avidité du vainqueur, ainsi que cela se pratiquait partout dans l'extrême danger. La tradition orale encouragerait, à ces recherches si elle méritait quelque confiance. Quoiqu'il en soit, on peut augurer, en voyant de telles ruines, qu'aucun être animé n'a survécu au sac de cette ville : motif de plus pour croire à la possibilité de découvertes vraiment intéressantes.
L'épaisseur de la couche de terre végétale qui se remarque sur le plateau de Toull, et qui est souvent d'un demi-mètre, est encore une forte preuve d'une ancienne et nombreuse population. Il est en effet extraordinaire de trouver au sommet d'une montagne, surtout dans la Creuze, une telle couche et un sol aussi fertile, tandis que les vallons, qui cependant reçoivent toute la substance, tout l'engrais des terrains supérieurs, ne présentent rien de semblable. Il est , d'après cela, facile de concevoir les fatigues du cultivateur pour déblayer son champ, et d'où proviennent ces tas énormes de pierres que l'on rencontre à chaque pas, ou, pour mieux dire, qui se prolongent sans interruption et qui couvrent une si vaste étendue.
Le lieu consacré aux inhumations, et qui est toujours le même, complète encore mieux cette preuve. Son principal aspect est au midi, son entrée au nord. Il est situé entre le second et le troisième rempart. Malgré une diminution de près de moitié, il est encore très étendu, et infiniment trop pour une commune qui ne compte qu'environ onze cents habitans (YH : en 1806, ce village est en train de mourir de nos jours, avec 280 habitants...).
Les fouilles y font découvrir quatre couches successives de tombeaux : parmi les deux premières, les plus profondes, on trouve quelques pierres du pays creusées en auge ; il s'est rencontré dans la suivante une pierre blanche, très étrangère au département, également creusée, mais dont la partie inférieure était beaucoup plus étroite que la supérieure ; dans cette troisième couche on lit sur quelques tombeaux les lettres initiales de dis superis, sur d'autres celles de diis manibus. On voit sur un très grand nombre une croix entre deux ascia. L'une de celles qui soutenait l'arbre de la liberté, présentait ces emblêmes. Ces derniers sont sûrement du 3e ou du 4e siècles; ils prouvent tout à la fois le passage du paganisme au christianisme, ainsi que la fusion des deux religions.
Il est bon de remarquer que les tombeaux les plus profonds en terre, ceux qui sont évidemment les plus anciens, répondent tous aux solstices ou au midi ; que l'ascia, sur lequel on a tant disputé, est ici très reconnaissable : c'est la petite hache du charpentier, à manche court ; et enfin que les tombeaux de pierre blanche sont en général communs dans les plus anciennes églises et paraissent appartenir aux premiers Chrétiens. Au surplus, ce lieu bien suivi, bien examiné, pourrait fournir des découvertes et matière à beaucoup d'observations.
On rencontre dans le même enclos, ce que je n'ai encore vu nulle part, un amula romain à côté de plusieurs tombeaux. Les uns sont ronds, les autres légèrement aplatis sur deux faces. Tous sont plus ou moins avant dans la terre, ressortent d'un mètre ou environ, et présentent à leur extrémité supérieure une cavité oblongue, pour contenir l'eau lustrale ou préservative.
Il existait au milieu de cette enceinte un bâtiment qui, comme tous les temples gaulois, regardait le midi. L'entrée en était également au nord. Il paraît qu'une fontaine jaillissait à son extrémité opposée. Si les Celtes l'ont élevé, ce qui est fort douteux, il a pu sous les Romains être consacré aux dieux Mânes : quoi qu'il en soit, il a fini par être sous le vocable de St.-Martial. Il est de forme ovale ; ses murs épais d'environ quatre-vingt centimètres, ont été construits avec du mortier de terre, ce qui prouve qu'ils sont moins anciens que ceux de plusieurs des cases dont on a fait mention. Il est donc bien constaté que la population de Toull était considérable. Mais qu'elle pouvait être la cause d'une pareille réunion d'hommes ? dans un lieu naturellement ingrat et aride avant cette réunion, sous un ciel brumeux, froid, sujet à toutes les intempéries, où l'on devait nécessairement éprouver toutes sortes de privations ! je ne vois que deux intérêts capables de surmonter tant d'obstacles, de contrebalancer tant de sacrifices : la religion, la sûreté individuelle. La religion, ses monumens la proclament. La sûreté individuelle se manifeste dans le nombre des citoyens, dans la triple enceinte, dans les souterrains, dans les forteresses , et enfin dans l'élévation et l'escarpement de la montagne. Toull, ainsi qu'Alise et Gergovia, pouvait passer pour une des plus fortes villes des Gaules.
On avait multiplié les portes de ville pour faciliter la circulation des habitans. On en comptait six : savoir une au nord, de trois mètres de large, dont on voit encore les premières assises ; elle répondait à un certain nombre de marches dans l'intérieur, dont six subsistent encore. Une seconde regardait le sud-est et répondait à la croix que l'on nomme Jacques. Une troisième était placée entre celle-ci et celle du midi. Celle du midi et celle du sud-ouest se succédaient ensuite. Enfin celle de l'ouest étoit remarquable par la tour qui la défendait. Non loin de cette tour se voit encore une levée qui aboutissait à une autre qui paraissait régner tout autour de l'enceinte la plus interne. Ces levées ne s'aperçoivent qu'en ce seul endroit. Il partait de quatre de ces portes de ville, autant de chemins bien pavés d'environ trois mètres de large, qui se pratiquent encore dans toute l'étendue de la commune de Toull, c'est-à-dire, à plus d'une lieue de distance. Tous tendent évidemment à des villes très anciennes, dont les noms latins ont varié dans le cours des siècles ; savoir, à Ahun, Agedunum, Acitodimum, Acedunum, Adedunum, Agidunum ; à Argenton, Argantomagus, Argentonium ; à Château-Meillant, Mediolanum, Castrum-Melanum ; à Chambon, Cambiovicus, Cambo, Cambonium, Campus Bonus.
Le chemin d'Ahun conduisait à Limoges, celui d'Argenton à Poitiers, celui de Château-Meillant à Bourges, celui de Chambon à Néris;et de là en se bifurquant à Autun et à Gergoie, Gergovia Arvernorum.
Maintenant à quelle époque rapporter le renversement de Toull ; à qui l'attribuer ? il a eu lieu, ce renversement, avant l'usage commun des verres à vitres : on sait qu'ils ne furent connus à Rome que dans le cours du premier siècle de l'ère vulgaire, ainsi qu'il résulte de deux passages, l'un de Pline le jeune, l'autre de Pline l'ancien (10), si on en excepte un seul endroit du château, il n'a encore été découvert nulle part des débris de cette espèce. Il a eu lieu ce renversement, lorsque les tuileries, les briqueteries étaient encore très rares, l'art du tuilier étant a peine connu ; car on ne rencontre des fragmens de tuiles et des carreaux entiers que sur deux emplacemens qui offrent des bâtimens ou le mortier a été employé, conséquemment beaucoup moins anciens que ceux dont les murs sont en pierres sèches. D'ailleurs les restes des édifices, des remparts, les ruines elles-mêmes, méritent un examen plus scrupuleux pour prononcer si les Romains se sont établis dans cette ville. On y trouve plusieurs objets qui appartiennent exclusivement au culte de cette nation, et ce culte fut long-tems le dominant dans les Gaules. D'autre part Toull n'a pu être compris dans la proscription de Vercingetorix, il réunissait tout pour une longue défense : on ne brûloit que les lieux qui n'en étaient pas susceptibles, et on ne trouve ici aucune marque d'incendie, on sait qu'elles sont ineffaçables. On ne peut donc en accuser les Romains qui furent souvent généreux envers les vaincus et qui embellissaient souvent au lieu de détruire. Quoi qu'il en soit, jamais saccagement ne fut plus complet : il faut croire que la fureur des assaillans égala la résistance des assiégés. On ne peut donc l'imputer qu'à la barbarie d'une horde sauvage. Je m'aperçois qu'avant de s'occuper de sa destruction, il aurait fallu parler de son existence ; mais rien ne l'atteste, elle est absolument ignorée, absolument inconnue. On ne la trouve que dans ses ruines, on ne la découvre que sous ses propres décombres.
S'il était cependant permis de tirer quelqu'avantage de ce qui n'est peut-être qu'une erreur typographique, ou la faute d'un copiste ; je citerais Ptolomée. Dans une édition de sa Géographie, à Cologne, en 1507, copiée sur celle de Venise, on lit : " Hi omnes ab ortu solis habitant, Participant et post ligirim flu. Bituriges culi Et civitas taricum ".
En supposant que taricum se lise dans le manuscrit original, il faudra convenir que Toull existait encore du tems de ce géographe, c'est-à-dire, environ l'an 14 de l'ère vulgaire. Il est à observer, sans toutefois prononcer sur ce taricum, que la conjonction et, qui le précède, au lieu d'indiquer la capitale des Bituriges cubi, annonce précisément une ville qui en est très distincte, et civitas taricum. Si Ptolomée l'avait donné comme capitale de ce peuple, il aurait dit, comme partout ailleurs, quorum civitas taricum. On ne manquera pas de m'objecter que taricum ne répond pas au mot Toull ; je répondrai qu'il en est ainsi de tous les noms latins comparés aux celtiques. J'ajouterai que cette nomenclature, fatal présent des Romains, a tout obscurci, tout dénaturé, tout anéanti. Elle n'a pas moins nui à la géographie qu'à l'histoire. C'est à elle que nous devons ces erreurs sans nombre, cette confusion, ce cahos qui régnent dans tant d'écrits, cet oubli de tant de cités, cette ignorance de tant de pays et de tant de peuples que l'on cherche encore inutilement. Heureux ceux qui ont recouvert ou conservé leurs anciens noms !
Au reste, si taricum ne répond pas au celtique Toull, il convient mieux du moins au mot tour, dont le vulgaire se sert pour désigner le même endroit ; et si taricum n'est pas une faute, je ne douterais pas que le nom de tour en dérivât. Il est à observer que ce dernier est très expressif dans l'idiome populaire, puisque dans le fait les citadins habitaient dans des tours, tout ainsi que les Thyréniens dont parle Pelloutier...
(...) De son côté, Toull, ce qui est très-digne de remarque, trace lui-même sa ligne de démarcation du côté des Cambiovicenses (un peuple Gaulois), par les villages des Bordes, de Bordesoul, etc. etc. qui n'ont également aucun besoin d'interprétation. Tous ces noms sont celtiques, ou dérivent bien évidemment de cet idiome. Ainsi, tout m'autorise à croire que c'était ici un chef-lieu de cité: peut-être qu'en y réfléchissant bien, on y trouverait un de ces peuples noyés dans l'ancienne géographie, et que nous avons perdus dans la moderne. Je citerais les Insubres, les Ambivarïti, les Aulerci, les Branovices, les Datii, et tant d'autres qui nous sont inconnus, grace à la nomenclature romaine. Les Insubres gaulois, par exemple, pourraient y reconnaître leur Medialanum : car je ne doute aucunement que Château-Meillant qui, dans la carte de Peutinger est sur la route d'Argenton à Néris, ne fît partie et ne fût situé au centre de la cité toulloise. Autrement il serait impossible de concevoir l'origine de son nom ; or, il est bien certain qu'aucun nom propre n'est le produit du hasard.
Je conviens qu'il est difficile d'établir que Toull ait été une capitale, un chef-lieu de cité ; mais je suis loin de penser que les preuves en soient impossibles. J'en distingue de trois sortes : les apparentes, les conjecturales, celles qui résultent des faits ; je passerai rapidement sur chacune.
Parmi les apparentes, je compte celles qui proviennent du fait des auteurs ou des manuscrits : elles seraient très nombreuses si l'on pouvait s'y arrêter. Si l'on s'en rapportait, par exemple, à la carte que Samuel Clarke a mis en tête de ses Commentaires de César, qu'il a intitulés : Gallia uetus, et qui n'est autre que celle de Jean Jansson, on pourrait avancer, avec quelque vraisemblance, que Toull était ce gergovia boïorum, ce gergobina que l'on cherche si inutilement depuis tant de siècles. En effet, il se trouve sur cette carte, à l'extrême frontière des Leinovices, des Bituriges, et en deçà de l'Allier. Mais ce placement fronde ouvertement l'opinion de d'Anville et des hommes les plus instruits. Tous se réunissent pour fixer les Boïens entre l'Allier et la Loire. L'on attaque en outre l'exactitude des manuscrits et celle de César lui-même sur la géographie. Je pourrais multiplier ces exemples, mais ce serait sans utilité ; il est facile de concevoir le peu d'importance que j'y attache. L'impuissance où l'on est d'étendre le territoire des peuples Lemovices jusqu'à Toull, me fait déjà naître l'idée que Toull pourrait bien avoir été le chef-lieu d'une cité particulière. L'existence d'un prince dans cette ville, ajoute ensuite infiniment à mes conjectures et les rend probables. Il est vrai que cette existence n'est d'abord constatée que par la légende ; mais cette légende est elle-même fort ancienne. C'est elle d'ailleurs qui, la première, fait entendre le mot de Tullum. « Martialis igitur Lemovicum fines ingressus, Tullum venit, ubi hospitis Jilia à daemone liberata et loci principe vitae restituto, multos adjidem convertit, inde Agedununt se contulit. »
Ainsi , lorsque Martial apostolisait, c'est-à-dire vers le milieu du troisième siècle, sous l'empire de Dece et de Gratien, au rapport de Grégoire de Tours, il y avait un prince à Toull. On sait que chaque peuple des Gaules avait le sien ; César en cite plusieurs par leurs noms, et l'on voit Vercingetorix les réunir chaque matin en un conseil de guerre, principes earum civitatum, pour la défense d'Alise. La présence d'un prince prouve nécessairement celle d'un peuple ; car on ne peut supposer un chef sans commandement, et un commandement sans un certain nombre d'individus qui doivent obéir. Au surplus, d'après Diodore de Sicile, livre 5, traduction de l'abbé Terrasson, les Gaules étaient habitées de son tems, c'est-à-dire sous Auguste, par une infinité de nations plus ou moins populeuses, dont les plus fortes étaient de deux cent mille hommes, et les plus faibles d'environ cinquante mille.
Ce titre de prince, si cher et si familier aux Gaulois, devint très commun sous les derniers rois de France de la première et seconde race ; alors les ducs et les comtes des provinces s'emparèrent de la souveraineté, et se qualifièrent de princes, selon Loyseau. Les titres et documens des 10e et 11e siècles, prouvent encore la présence d'un prince à Toull : on en voit même quelques traces dans le 12e. Un sceau, que nous avons trouvé sous les ruines de l'ancien château, porte une fleur de lys sur l'écusson. On lit, tout autour, S : P : LOTET ; succèdent deux étoiles et une croix. Il pouvait appartenir au dernier prince,ou être celui du gouverneur du fort, lorsqu'il fut pris par les Anglais, sous Charles VI.
Enfin, le troisième genre de preuves, le plus incontestable, est celui qui résulte des faits : or, il est bien constant qu'il a existé une population nombreuse à Toull, qu'il fallait de très puissans motifs pour l'attirer et la fixer, que la forme d'un grand nombre d'habitations, la nature et la construction des murs de la seconde et de la troisième enceinte, l'assiette de la ville, ses souterrains, ses chemins ; que tout, en un mot, jusqu'à son nom propre, annonce une ville celtique de la plus haute antiquité.