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Le Peuple des Sidhe

yvesh Par Le 02/03/2013 1

Dans Paranormal

Le Peuple des Sidhe

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La plupart des récits de la tradition celtique présentent les fées non comme un ensemble disparate d'entités isolées et de puissances individuelles intervenant de façon accidentelle ou arbitraire dans le destin des hommes, mais bien comme les représentants d'une race à part, d'un peuple qui possède ses propres coutumes, qui livre ses propres guerres et, surtout, qui règne sur son propre monde. Ce peuple, qui regroupe en son sein différentes tribus, différents royaumes, est connu sous le nom de peuple Sidhe, terme gaélique désignant à l'origine un tertre ou une colline : dans l'imaginaire celte, les tertres et les collines marquaient souvent les frontières visibles du monde invisible et les croyances populaires situaient volontiers les demeures et les palais des fées sous la surface des collines. A quoi ressemblent donc les Sidhe ? Dans la plupart des textes qui les décrivent, ils sont présentés comme des êtres à l'apparence humaine, mais particulièrement beaux, vigoureux et brillants, parés de dons prodigieux et éternellement jeunes... Certains d'entre eux, toutefois, sont particulièrement laids,
ou étrangement difformes, voire franchement monstrueux : dans un cas comme dans l'autre, l'ordinaire n'a pas cours, et les extrêmes constituent la norme.

Et qu'en est-il de l'organisation sociale de cette gent des collines ? Le plus souvent, les Sidhe vivent à la manière des tribus celtes, avec des guerriers, des bardes, des artisans, des rois et des reines, et présentent en quelque sorte une version idéalisée de la société celtique, parfois agrémentée de quelques étrangetés typiquement féeriques... En revanche, les Sidhe néfastes et malveillants tendent à vivre selon des coutumes qui ne sont en réalité que de grossières transgressions ou inversions des grandes lois communes au monde celtique : l'illusion remplace la vérité, la fausseté se substitue à l'honneur et les règles sacrées de l'hospitalité sont détournées à l'encontre des invités, retenus contre leur gré ou contraints de se plier à des coutumes infamantes par "respect" pour leurs hôtes.

Seelie et Unseelie

A l'instar des paysages de cet Autre Monde qui est le leur, la société des Sidhe est bâtie sur ce qu'on pourrait appeler une dualité des extrêmes : d'un côté, des êtres "brillants", dispensateurs de dons et d'inspiration, vivant dans un monde d'enchantements et de prodiges; de l'autre, des créatures "ténébreuses", parodiant et bafouant les lois humaines, porteuses de mauvais sort et semeuses de discorde. Si certains sidhe adoptent volontiers l'un ou l'autre comportement de façon capricieuse et imprévisible, la plupart d'entre eux relèvent clairement de l'un ou l'autre aspect. La tradition gaélique écossaise concrétise un peu plus cette bipartition en nommant précisément ces deux factions : d'un côté, la cour brillante des Seelie, de l'autre, la meute ténébreuse des Unseelie. Il est amusant de constater que ces deux termes, manifestement contraires, n'ont, en eux-mêmes, aucune signification propre, le mot seelie n'étant que la transcription de sidhe : seelie pourrait donc se traduire en français par fée ou faé et unseelie par un terme comme "infaé".

La Légende de Thomas le Rimailleur

Dans certains cas, un séjour chez les fées peut même avoir des conséquences globalement positives pour l'invité-captif, comme dans l'histoire de Thomas le Rimailleur (Thomas the Rhymer). Selon la légende, Thomas était un poète écossais qui fut enlevé par les fées et revint de l'Autre Monde doté du don de prophétie, un don qui, dans la grande tradition du pays de Féerie, peut parfois être source de bien des tourments. Ici, la Légende se confond avec l'Histoire, puisque Thomas le Rimailleur a bel et bien existé : né Thomas de Learmouth, ce noble écossais du XIIIème siècle composa de nombreuses prédictions sous forme de poèmes, souvent énigmatiques. Certaines de ces prophéties se révélèrent exactes, notamment celle concernant la mort du roi d'Ecosse Alexandre III et les graves troubles qui s'ensuivirent pour le royaume. Cette véracité lui valut le surnom de "True Thomas", c'est à dire Thomas le Véridique. Fallait-il être devin pour prophétiser de tels événements ? Une prédiction, une fois établie et rendue, ne constitue-t-elle pas, pour ceux qui y accordent foi, le plus impérieux des commandements ? Il ne nous appartient guère de trancher... Quittons donc les rivages de l'Histoire pour rejoindre à nouveau l'autre bord, celui de la Légende : selon certains récits, Thomas le Véridique ne serait pas mort mais aurait rejoint l'Autre Monde, où il serait devenu le barde attitré de la Reine des Fées...

Charmes et Enchantements

Enchanteurs par nature, les sidhe pratiquent une forme de magie particulière, le glamour. Avant d'examiner de plus près les caractéristiques de cet art typiquement féerique, attardons-nous quelques instants sur la définition du mot lui-même... A l'origine, le terme glamour désigne, en anglais, une forme de magie destinée à embellir la réalité : le glamour peut ainsi donner à une poignée de feuilles mortes l'apparence d'une bourse remplie de pièces d'or, ou faire passer la plus humble des masures pour le plus majestueux des palais. Ce type de magie remplit donc une double fonction : abuser et séduire, tromper et attirer, en un mot, charmer au moyen d'artifices secrets, définition qui s'applique également au sens moderne, beaucoup plus restreint, de ce mot. On pourrait donc traduire glamour par "charme" ou "enchantement", deux mots qui appartiennent eux aussi à ce double registre de la magie et de la séduction; signalons également que le mot français prestige désignait lui aussi autrefois des artifices magiques destinés à leurrer ou à fasciner.

L'étymologie du mot glamour est encore plus tortueuse que sa définition, puisqu'il est issu du mot français... grammaire ! Autrefois, le terme grammaire ne désignait pas uniquement le modus operandi d'une langue, mais pouvait s'étendre à n'importe quel domaine de connaissance jugé extrêmement abstrait, complexe ou ésotérique : le mot a ainsi donné naissance à grimoire, terme désignant un ouvrage savant empli de connaissances vaguement mystérieuses; puis, le sens de grimoire s'est peu à peu limité au seul champ de la magie; c'est chargé de cette signification que le mot est passé en Grande Bretagne, après la conquête de l'Ile par les Normands francophones. Là, il s'est peu à peu déformé et son sens est progressivement passé de "livre de magie" à "magie". Dans certains vieux textes anglais parlant de magie et de féerie, on rencontre parfois des termes comme gremayre, qui attestent de cette improbable évolution linguistique, digne des sortilèges les plus étranges de l'Autre Monde.

Il serait tentant de ne voir dans le glamour qu'un art magique constituant à travestir l'apparence des choses, ou à créer des illusions de toutes pièces, mais cette forme de magie typiquement féerique entretient des rapports beaucoup plus subtils avec les notions de réel et d'imaginaire. Dans son acception la plus générale, le terme glamour désigne non seulement la technique magique proprement dite que la "matière première" que cette technique permet de manipuler, cette fameuse "étoffe dont sont faits les rêves" (Shakespeare, La Tempête), cette substance qui imprègne chaque être, chaque lieu, chaque objet issu de l'Autre Monde, où tout est plus beau, plus fort, plus vif... plus vrai, serait-on tenté d'ajouter. Comme on le voit, l'art de tisser le glamour consiste moins à créer des illusions qu'à évoquer au sein de notre monde un peu de l'éclat et de la splendeur de l'Autre...

Les Fées et la Foi

Si les croyances concernant les sidhe trouvent leurs racines dans le paganisme celtique, la chrétienté médiévale, loin de nier l'existence des fées, chercha souvent à les intégrer de manière plus ou moins heureuse au sein de la cosmogonie biblique. Cette démarche syncrétique, peu prisée des autorités ecclésiastiques romaines, fut en revanche une des grands caractéristiques des diverses églises celtiques, notamment au Pays de Galles, en Bretagne armoricaine, en Ecosse et, bien évidemment, en Irlande : le récit pathétique du retour d'Oisin et de son trépas témoigne ainsi de la volonté des hommes d'Irlande d'établir un passage, une transition harmonieuse entre leur nouvelle foi et les traditions de leurs ancêtres, de concilier en une seule histoire mythique le souvenir des héros et des fées de jadis, et les enseignements de la religion chrétienne. Il est intéressant de noter qu'à partir du moment où la religion et la morale chrétiennes s'en mêlent, les frontières entre les différentes espèces d'êtres féeriques ont tendance à s'estomper et tous, qu'ils soient beaux ou laids, fascinants ou effrayants, brillants ou ténébreux, se trouvent jetés dans le même sac et frappés du même anathème : pour la plupart des gens d'église du moyen-âge, fées, elfes et autres "hafelins" (littéralement "demi-hommes") ne sont que des démons déguisés, des esprits infernaux dont le seul but est de perdre les hommes, de les éloigner de la seule vraie foi en les soumettant à diverses
tentations.

Certains théologiens firent toutefois preuve d'une plus grande imagination et virent la confirmation de l'existence d'une race féerique à part dans l'allusion que fait le Livre de la Genèse aux Nephilim, ces mystérieux "faiseurs de prodiges" qui arpentaient la Terre lorsque celle-ci était encore jeune. Selon une théorie fort répandue dans les traditions celtique et germanique christianisées, les êtres féeriques seraient en fait des anges exilés sur terre par Dieu : dans la grande révolte déclenchée par Lucifer avant la Chute, ces anges n'auraient pris parti ni pour Dieu ni pour le futur souverain de l'Enfer. Dieu aurait donc banni dans le monde des hommes ces anges coupables d'être restés neutres, qui ne pouvaient décemment demeurer au Paradis, mais qui ne méritaient pas pour autant d'être jetés dans l'Abîme. Selon d'autres sources, le royaume de Féerie verserait un tribut régulier aux Puissances de l'Enfer, afin de conserver son indépendance et de rester à l'écart de la grande lutte entre les forces du Bien et du Mal. Il est intéressant de noter que, même aux yeux de ces théoriciens pourtant chrétiens, sidhe, elfes et consorts ne sont ni bons ni mauvais, mais incarnent un compromis pour le moins inhabituel dans un système de croyance et de pensée pourtant strictement codifié : le véritable
caractère des fées demeure un mystère, même pour ceux qui prétendent expliciter le monde, de sa création à sa fin.

Les Sidhe et les Mortels

Seelie ou unseelie, les sidhe semblent en tous les cas éprouver une vive curiosité à l'égard des mortels et vont parfois jusqu'à inviter quelque promeneur solitaire ou voyageur égaré à les rejoindre dans leurs réjouissances. Dans la plupart des cas, ces réjouissances prennent la forme d'une grande ronde joyeuse ou d'un banquet où l'on sert des mets délicieux. Rappelons-nous au passage que la danse et la bonne chère sont deux symboles traditionnels des plaisirs de la chair : l'appel des fées est donc une invitation au plaisir et à l'abandon. Comme il est évidemment fort difficile de refuser quoi que ce soit à des êtres aussi séduisants, le mortel ne tarde pas à rentrer dans la danse ou à rejoindre la fête, ce qui va évidemment entraîner de fâcheuses conséquences, comme chaque fois qu'un interdit se trouve transgressé ou que la frontière entre les deux mondes est franchie...

Lorsqu’il entre dans la ronde des fées, le mortel se trouve emporté par une farandole de plus en plus frénétique et étourdissante : dans certains récits, le malheureux est ainsi condamné à "danser jusqu'à la fin des temps"; dans d'autres, il parvient à quitter la danse, ou bien s'en trouve éjecté par malice, à moins que le lever du jour ne provoque la disparition des danseurs faés : le malheureux mortel constate alors qu'il a vieilli de plusieurs années en quelques heures, sans même avoir connu une vie d'abondance et de félicité, comme Oisin en Tir Na n’Og. La signification cachée de cette ronde des fées est aisée à déceler : l'homme qui cède aux plaisirs vit sa vie comme une grande farandole, comme un tourbillon, sans voir le temps passer, et se réveille un jour, vieux, seul, au terme d'une existence qui ne lui a rien appris, rien apporté. Dans d'autres cas, le danseur est finalement changé en pierre : plusieurs cercles de pierres levées, en Grande Bretagne et en Bretagne armoricaine, sont liés à des histoires de danseurs pétrifiés victimes de la malice des sidhe ou des korrigans.

Dans le cas du banquet des fées, l'expérience vécue par l'invité mortel est plus élaborée, riche de sensations diverses et de plaisirs variés : les plats, la boisson, la musique, la beauté des convives, tous ces éléments font de ce festin féerique un moment magique et inoubliable. Mais on ne goûte pas impunément les mets et les breuvages de l'Autre Monde : un des premiers conseils que l'on donnait jadis aux enfants et aux voyageurs était de ne jamais accepter quoi que ce soit, et tout particulièrement à manger ou à boire, qui soit offert par une fée ou par un être de même nature. On retrouve à nouveau l'éternel principe de l'interdit : en acceptant un cadeau offert par une fée, en goûtant un plat préparé dans l'Autre Monde, le mortel imprudent se laisse en quelque sorte contaminer par la magie des fées... Ceux qui cèdent à la tentation subiront bien souvent le même réveil brutal, le même douloureux retour à la réalité que le danseur de la ronde des fées... Ils ne verront plus le temps passer et, lorsqu'ils prendront congé de leur hôte, ils trouveront un monde méconnaissable, où de nombreuses années se sont écoulées durant l'espace d'un soir à la cour des fées.

Dans certains récits, le convive égaré se voit épargner le châtiment de son propre vieillissement accéléré, mais l'expérience qu'il a vécue et le fait qu'il ne soit plus tout à fait de son temps le laissent à jamais marqué et le placent à l'écart des autres hommes. Comme ceux qui ont aimé passionnément une fée et que leur amante a quitté pour rejoindre l'Autre Monde, il restera à jamais "sous le charme" (au sens magique du terme), "fae-struck" comme disent les Anglais, soit littéralement "frappé par les fées" : il a pris un "coup de féerie" comme on peut prendre un coup de soleil ou un coup de lune...

Ce thème de l'enlèvement déguisé en invitation n'est pas l'apanage des seuls unseelie, loin s'en faut. Ce constat permet de confirmer, si besoin était, que la division seelie/unseelie ne correspond pas, répétons-le, à une division bien/mal : peut-être la différence entre seelie et unseelie est-elle à chercher du côté de l'intention et des conséquences de l'invitation dans l'Autre Monde. Les seelie inviteront le mortel dans leur ronde ou à leur banquet en dépit des fâcheuses conséquences que cela peut entraîner pour lui, tandis que les unseelie agiront dans le but délibéré de provoquer ces fâcheuses conséquences. Comme toujours chez les fées, les nuances sont subtiles et les frontières fragiles...

De Prestigieux Ancêtres

Même s'ils semblent vivre en dehors du temps, les Sidhe préservent, comme tous les peuples, la mémoire de leurs origines. Dans la mythologie irlandaise, les Sidhe sont les descendants des Tuatha dé Danan (littéralement "la tribu ou les gens de Dana", Danu étant l'un des noms de la grande déesse mère des Celtes), une race d'êtres divins eux-mêmes originaires des lointaines "Iles de l'Ouest", souvent identifiées avec la terre enchantée de Tir Na Nog. L'arrivée des Tuatha dé Danan en Irlande et les batailles épiques qu'ils y livrèrent contre d'autres races légendaires, comme les monstrueux géants Formoire ou la mystérieuse tribu des Fir Bolg, sont relatées dans le Lebor Gabala (Livre des Invasions, ou des Conquêtes), qui regroupe les grands mythes fondateurs de la culture celtique irlandaise. Immortels, les Tuatha excellaient dans les arts de la guerre et de la magie et comptaient dans leurs rangs les plus grands bardes, médecins et artisans que l'Irlande ait jamais connus.

Le plus fameux d'entre eux fut certainement Lugh, le "dieu brillant". A la différence de la plupart des Tuatha, son culte s'étendait bien au-delà de l'Irlande, dans tout le monde celtique, comme le prouvent les innombrables lieux auxquels il a laissé son nom (un des plus célèbres étant la ville de Lyon, alias Lugdunum). Voici une de ses plus célèbres descriptions, tirée du Cycle d'Ulster, qui conte les exploits du héros irlandais Cuchulainn : "Un homme haut et bien fait. Ses cheveux sont épais et courts taillés sur sa tête, blonds et bouclés par derrière. Un manteau vert l'enveloppe. Une broche de blanc argent tient le manteau sur sa poitrine. Sur sa peau blanche, il porte une tunique de soie, digne d'un roi, entretissée d'or vermeil, et tombant aux genoux. Il a une grande épée à un seul tranchant dans un poing, un écu noir à bordures de bronze argenté, une pique à cinq barbes à l'autre poing, deux javelines fourchues au côté. C'est merveille, en vérité, de voir les tours d'adresse, de force et de prouesse qu'il fait. " Lorsqu'il l'aperçoit, le héros Cuchulainn (qui est en fait le propre fils de Lugh, mais n'a jamais eu l'occasion de le rencontrer) ne le reconnaît pas en tant qu'individu, mais l'identifie immédiatement pour ce qu'il est : un guerrier sidhe, venu de l'Autre Monde.

Le héros explique ainsi à l'un de ses compagnons : " C'est un des miens, qui du Pays des Fées vient m'apporter aide et pitié..."

Ce passage prouve, si besoin était, qu'il n'existait pas dans l'imaginaire gaélique traditionnel de distinction clairement établie entre les dieux et les fées : ainsi Lugh est-il présenté dans le même récit à la fois comme un "dieu" et comme un "jeune guerrier du pays des Fées" : Lugh constitue le modèle idéal du peuple des Sidhe : d'une beauté prodigieuse, à la fois combattant, poète, chasseur et magicien, il est le dieu brillant, dans tous les sens du terme. Champion infaillible, paré de tous les dons, doté de toutes les qualités et maître de tous les arts, Lugh
appartient à la catégorie des dieux et des héros solaires, ce qui n'empêche pas son mythe de receler quelques zones d'ombres... Ainsi, il est intéressant de noter que, bien qu'étant le champion de ce peuple, Lugh n'est pas un "pur" Tuatha dé Danan : sa mère, en effet, n'est autre que la fille du roi des Formoire, race ennemie des Tuatha traditionnellement rattachée à la nuit et au monde souterrain...

Peut-être faut-il voir dans le double héritage de Lugh une des racines mythiques du caractère changeant souvent attribué aux Sidhe, enfants de l'ombre et de la lumière, à la fois fascinants et inquiétants, capables des plus grands prodiges, mais porteurs d'une "part étrange", inconnaissable et donc dangereuse...

Les Trésors des Tuatha dé Danan

En plus de leurs prodigieux pouvoirs, les Tuatha dé Danan avaient en leur possession de puissants objets magiques : ainsi, la redoutable épée de leur roi Nuada à la Main d'Argent, la lance infaillible de Lugh ou la harpe d'or du dieu Dagda, dont la musique envoûtante pouvait provoquer la joie, le chagrin ou le sommeil... Mais le plus précieux trésor des Tuatha dé Danan était sans nul doute le chaudron d'abondance, qui permettait non seulement de nourrir une infinité de convives, mais aussi de ramener à la vie les guerriers morts au combat. De nombreux érudits ont vu dans ce chaudron de fertilité et de résurrection un archétype archaïque et païen de ce mystérieux Graal que les Chevaliers de la Table Ronde recherchèrent avec tant d'ardeur : nous verrons plus loin que cet exemple n'est pas isolé, et que de nombreux trésors mythiques originellement liés aux ancêtres des fées ont survécu dans les romans de chevalerie sous forme d'objets enchantés offerts aux valeureux héros par de belles et mystérieuses damoiselles...

Les Peuples Ennemis

Les Tuatha dé Danan possédaient également de nombreux ennemis. Les trois principales races légendaires qu'ils combattirent furent les Fomoriens, les Fir Bolg et les Milésiens.
Les Fomoriens (ou Formoiré, Fomori, Fomorach etc) étaient des géants malfaisants et difformes, issus du fond des mers et des profondeurs de la terre : leur chef, le terrible Balor, pouvait foudroyer ses ennemis d'un seul regard de son oeil unique. De l'apparence des Fir Bolg, les légendes ne disent pas grand chose : certaines sources tardives font d'eux un peuple de géants brutaux et stupides, très proches des anciens trolls des mythes scandinaves. Leur nom reste un mystère : "hommes-ventre" ou "hommes-foudre"... à moins qu'il ne s'agisse plus prosaïquement de la tribu celte des Belges, largement répandue dans les Iles Britanniques. Quant aux Milésiens, ou Fils de Mil, les légendes font d'eux les ancêtres des Irlandais actuels. Ce sont eux, de simples mortels, qui vaincront les Tuatha et les forceront à s'exiler définitivement dans l'Autre Monde.

Des Dieux aux Fées

En cédant la place aux hommes, les Tuatha dé Danan vont perdre leur essence divine, ainsi qu'une grande partie de leur puissance magique pour devenir les sidhe, le peuple caché des tertres, réfugié dans les profondeurs des forêts, des lacs, des collines creuses, des galeries souterraines... et de l'inconscient collectif. Comme il est inconcevable d'oublier ceux qui furent autrefois les rois du monde, les hommes continueront à respecter leur mémoire, à entretenir les lieux qui leur sont liés et à perpétuer leurs légendes. Il est intéressant de noter que cette perte de souveraineté divine, cette acceptation du règne des simples mortels, se manifeste physiquement par une érosion de la taille supposée des êtres mythiques : décrits comme des "géants" lorsqu'ils régnaient sur le monde, les Tuatha dé Danan vont, en devenant les sidhe, être réduits à une échelle plus humaine, au propre comme au figuré. Nous nous trouvons face à un étrange processus de dégénérescence des peuples imaginaires, où le pouvoir magique, la taille physique et la place occupée dans les croyances humaines semblent n'être qu'une seule et même donnée. Ce processus va continuer durant tout le moyen-âge ainsi qu'à l'époque moderne, sous l'influence de la religion chrétienne d'abord, puis du rationalisme scientifique, qui réduisent toujours plus la place que l'homme peut accorder aux êtres féeriques dans sa vision du monde. Peu à peu, l'héritage des sidhe s'érode, lui aussi : les terribles sortilèges de jadis se muent en simples mauvais tours, les fées deviennent des créatures fluettes ou courtaudes, et le peuple caché va devenir le petit peuple, sans doute parce qu'une taille de miniature paraît la seule explication rationnellement explicable au fait que les fées soient, par nature, "invisible à l'oeil humain", à l'instar des insectes (...) ou de la fée Clochette (...).

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L'Héritage des Sidhe

Cela dit, l'héritage mythique des Tuatha dé Danan et de leurs descendants les Sidhe n'est pas entièrement perdu, et se perpétue notamment à travers les dons fabuleux et les prodigieux exploits que la tradition celtique attribue à nombre de ses héros, à commencer par les Fiana, ces intrépides cavaliers qui accompagnèrent le légendaire héros irlandais Finn dans ses quêtes, ses chasses et ses batailles ; mais on trouve également des traces de cet héritage sidhe dans nombre de textes rattachés à l'immense Matière de Bretagne, c'est à dire au cycle du Roi Arthur et des Chevaliers de la Table Ronde. Ainsi, le conte gallois médiéval Kulhwch et Olwen nous présente cette étonnante description des compagnons du Roi Arthur, dépeint ici sous les traits assez archaïques d'un chef de guerre en quête d'aventures périlleuses :

"(...) Morvan fils de Tegid - personne n'osa le toucher de son arme à la bataille de Camlan tellement il était laid, tout le monde croyait que c'était un démon venu à la rescousse, il était couvert de poils semblables à ceux d'un cerf (...) Scilti Pieds Légers, lorsqu'il marchait à bonne allure pour une mission de son seigneur, ne cherchait pas le meilleur chemin par où passer, mais s'il rencontrait des bois, il marchait sur la cime des arbres, et s'il rencontrait des collines, il marchait sur l'extrémité des roseaux, et jamais une fois dans sa vie il ne fit plier un roseau sous son pied (...) Drem fils de Dremidyt qui voyait de Kelliwig en Cornouailles (c'est à dire la pointe sud-ouest de l'Angleterre) jusqu'à Penn Blathaon chez les Pictes (c'est à dire en Ecosse) le moucheron se lever avec le soleil (...)" 

Le texte évoque ensuite un guerrier capable d'enjamber les montagnes, un autre dont le pied frappant le sol provoque autant d'étincelles qu'une forge, un autre encore capable d'aspirer toute l'eau d'une baie abritant trois cents navires... Pour le lecteur moderne, ces attributs fantastiques relèvent avant tout de l'hyperbole ou de l'exagération poétique, mais il faut rappeler ici que les conteurs d'autrefois ne distinguaient pas comme nous le faisons aujourd'hui l'irrationnel du rationnel, le légendaire de l'historique, ou le réel du merveilleux : en dotant les guerriers d'Arthur de dons aussi outrageusement fantastiques, les conteurs qui perpétuèrent l'histoire de Kuhlwch et Olwen cherchaient avant tout à ancrer leur récit dans un temps primordial, le temps du mythe, lorsque les limites entre les hommes et les dieux, ou entre ce monde et l'autre, n'étaient pas aussi nettement établies.

Sur la Piste des Pictes

Les sidhe ne sont-ils que pure légende ? Selon certains anthropologues, la tradition celtique concernant le peuple des fées, tout particulièrement sous son aspect de « petit peuple des forêts et des collines », aurait une origine tout à fait réelle, en la personne des Pictes, un peuple d'origine préceltique qui régnait sur la Calédonie avant que les Scots venus d'Irlande n'en fassent l'Ecosse.

Nous ignorons beaucoup de choses sur ces Pictes, à commencer par le nom qu'ils se donnaient eux mêmes, le mot "picte" étant issu du latin "pictus", c'est à dire "homme peint" : les Pictes avaient en effet l'habitude de combattre nus, le corps couvert de peintures à vocation rituelle. En dépit d'un mode de vie apparemment très primitif (ou peut-être en vertu de ce mode de vie), les Pictes furent les seuls "barbares" à tenir tête aux légions de Rome : l'immense Mur d'Hadrien, qui marque traditionnellement la frontière entre l'Angleterre et l'Ecosse et traversait jadis l'île de Bretagne d'est en ouest, ne fut édifié que pour repousser leurs assauts dévastateurs. A cette époque, on les rencontre aussi dans des régions reculées d'Irlande, où on les connaît sous le nom de Cruithni. Les érudits qui postulent un possible rapport entre les hommes peints et le petit peuple des légendes basent leur théorie sur un certain nombre de faits et de conjectures...

Tout d'abord, il est important de préciser que les membres de ce peuple n'étaient vraisemblablement pas des Celtes, et qu'ils étaient très certainement issus d'une vague plus ancienne de peuplement de l'Europe, à l'instar des Basques, dont ils sont peut-être les lointains cousins. D'un point de vue ethnique et culturel, ils étaient donc des étrangers complets pour les Celtes comme pour les Romains. Les Pictes étaient probablement d'assez petite taille, du moins comparés aux Celtes, et avaient apparemment les cheveux sombres et la peau assez brune, autant de traits susceptibles de renforcer leur étrangeté et leur côté "sauvage" aux yeux de leurs voisins et ennemis. "Homme brun" (brown man) est d'ailleurs un titre fréquemment attribué aux esprits de la nature dans le folklore britannique.

Avant l'arrivée massive des Celtes en Grande Bretagne, les Pictes étaient manifestement présents sur toute l'île, comme semblent l'attester certaines traces archéologiques. Repoussés toujours plus au nord par le flux migratoire celte, les "hommes peints" auraient été contraints de se retirer dans les terres les plus reculées de l'île, à l'écart (et à l'abri) de ses nouveaux maîtres. Cette "perte de souveraineté" et ce grand exode "en dehors du monde" pourraient donc être à l'origine des croyances selon lesquelles les "hommes" (les Celtes) auraient succédé à l'ancien peuple ("the Old Folk", les Pictes) après avoir conquis ses terres; celui-ci se serait ensuite retiré à la lisière du monde, dans les forêts et autres lieux sauvages...

Chaque Peuple son Monde

Dans les mythologies germanique et scandinave, l'Homme partage la possession de l'univers avec plusieurs races d'êtres mythiques, à commencer par les dieux, répartis en deux tribus bien distinctes : les Ases (d'où sont issus les divinités les plus connues, comme Odin/Wotan ou Thor/Donar) et les Vanes (lignée plus ancienne de dieux déchus, vaincus par les précédents mais toujours détenteurs de précieux secrets et de puissants sortilèges). Les principaux peuples surnaturels sont les Géants, les Trolls, les Nains et les Elfes. Chaque espèce
habite un monde qui lui est propre : Asgard pour les Ases, Vanaheim pour les Vanes, Jotunheim pour les Géants, Niflheim pour les Nains, Alfheim pour les Elfes...

Quant au monde des hommes, il se nomme Midgard ("la terre du milieu") : tous ces différents mondes sont organisés autour du grand Arbre Yggdrasil, véritable axis mundi garant de l'équilibre cosmique. A première vue, nous nous trouvons donc en présence d'une mythologie organisée, apparemment plus structurée que le grand chaos brumeux des mythes celtes... à première vue seulement, car, en ce qui concerne les Elfes et les autres races surnaturelles "mineures", les légendes germaniques présentent elles aussi leur lot de mystères et de contradictions...

Les Puissances de la Nature

Les elfes nordiques sont étroitement liés au dieu Freyr et à la déesse Freya, deux divinités sur lesquelles il convient de s'arrêter quelques instants, l'examen de leur caractère et de leurs attributions respectives constituant probablement le meilleur résumé des spécificités primordiales du peuple elfique. Tout d'abord, il est important de noter que Freyr et Freya ne sont pas mari et femme, mais frère et soeur, comme le montrent leurs noms presque identiques : il n'est donc pas interdit de penser que Freyr et Freya représentent les deux moitiés, l'une mâle et l'autre femelle, du même principe mythique, principe qui serait inévitablement lié à l'essence même du peuple des elfes. Or, Freyr et Freya n'appartiennent pas à la tribu dominante des dieux, celle des Ases, traditionnellement liés au ciel, à la guerre et à la force, mais à la race des dieux vaincus, celle des Vanes, que les mythes associent étroitement à la terre, à la nature et à la magie, à l'instar des Tuatha dé Danan : elfes nordiques et sidhe celtiques occupent donc bel et bien la même niche mythologique au sein de leurs traditions respectives.
L'examen des attributs spécifiques de chacune des deux divinités confirme ce parallélisme. Freyr, lié au soleil et à la fertilité, était souvent surnommé "le brillant", comme Lugh; Freya, elle, était la déesse ambivalente de l'amour et du désir, régnant sur les sentiments les plus nobles comme sur les passions les plus folles : on retrouve ici l'idée d'êtres ni bons ni mauvais, mais reflétant par leur tempérament variable ou cyclique le caractère changeant et capricieux de la Nature, dont ils sont la vivante incarnation.

Extraits de "Aux Origines de la Féerie" de Olivier Legrand (2004)

SFH 03-2013

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Commentaires

  • Angéline

    1 Angéline Le 29/11/2015

    Super utile. Je vais pouvoir l'utiliser pour mon roman, je te remercie !

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