Ce qui change complètement la perspective sur l’apparition du système d’écriture au Proche Orient puisqu’il est désormais plus exact de dire que l’Iran a développé son propre système d’écriture "en même temps" qu’en Mésopotamie et que le plateau iranien ne devrait plus être ignoré désormais dans les reconstitutions historiques traitant des origines de l’écriture...
C’est cette forme la plus récente de l’écriture iranienne (l’élamite linéaire) qui a pu être déchiffrée. Il s’agit, à l’heure actuelle, de quarante inscriptions provenant du sud de l’Iran, depuis l’antique ville de Suse, en passant par le Fars (avec la région de Kam Firouz et la plaine de Marv Dasht, juste à côté du célèbre site achéménide de Persépolis) puis le sud-est iranien avec Shahdad et le célèbre site de Konar Sandal / Jiroft. Contrairement au cunéiforme mésopotamien, qui est un système d’écriture mixte alliant des phonogrammes (signes transcrivant un son) à des logogrammes (signes transcrivant une chose, une idée, un mot), l’élamite linéaire présente quant à lui la particularité, unique au monde au 3ème millénaire avant J.-C., d’être une écriture purement phonétique (avec des signes notant des syllabes, des consonnes et des voyelles). Utilisée d’environ 3300 à 1900 avant J.-C., l’écriture iranienne a considérablement évolué entre ses textes les plus anciens (les tablettes Proto-Elamites) et les plus récents (les textes en élamite linéaire), avec notamment un processus "d’écrémage". Des 300 signes de départ permettant de noter les noms propres dans les tablettes proto-élamites (dont la grande majorité est conservée à l’heure actuelle au Musée du Louvre), il n’en restera que 80 à 100 par la suite en élamite linéaire, sa version la plus récente. Une centaine de signes utilisés donc en continu pendant quelque 1400 années et généralement écrits de la droite vers la gauche et du haut vers le bas. " Pour travailler, nous avons divisé la quarantaine de textes dont nous disposions en 8 corpus, en fonction des provenances et des époques. Car l’élamite linéaire a été utilisé de 2300 à 1900 avant J.-C. sous le règne de différents souverains et dynasties et dans différentes régions ", poursuit l’archéologue. La plupart des textes sont des inscriptions royales assez répétitives, dédicacées à d’anciens dieux, du type : " Je suis [le nom], le grand roi de [nom], le fils de [nom du père], j’ai fait cet objet pour [nom du dieu ou d’une personne] ".
Le déclic des "vases gunagi"
Pour François Desset, le "déclic" du déchiffrement s’est produit en 2017 lors de l’analyse d’un corpus de 8 textes rédigés sur des vases en argent, qualifiés de "vases gunagi", datés vers 2000-1900 avant J.-C. et venant de tombes de la région de Kam-Firouz (à l’heure actuelle conservés dans une collection privée à Londres). Comme ces vases présentaient des séquences de signes très répétitives, standardisées à vrai dire, l’archéologue a pu ainsi repérer les signes servant à noter les noms de deux souverains, Shilhaha et Ebarti II (ayant régné tous les deux vers 1950 avant J.-C.) et de la principale divinité vénérée alors dans le sud-ouest de l’Iran, Napirisha.
Inscription en élamite linéaire dans la partie supérieure de ce vase en argent provenant de Marv Dasht (Iran), daté du 3e millénaire avant J.-C. Crédit François Desset - musée national de Téhéran
Cette première étape du déchiffrement, publiée en 2018, a abouti cette année au déchiffrement complet, qui sera publié scientifiquement en 2021. Ainsi, à titre d’exemple, le décryptage d’un magnifique vase en argent découvert dans la région de Marv Dasht dans les années 1960 et conservé à l’heure actuelle au Musée National à Téhéran (Iran), où l'on peut désormais lire: " A la dame de Marapsha [toponyme], Shumar-asu [son nom], j’ai fait ce vase en argent. Dans le temple qui sera célèbre par mon nom, Humshat, je l’ai déposé en offrande pour toi avec bienveillance ". Le résultat d’années de travail acharné. " Je travaille sur ces systèmes d’écriture depuis 2006, explique le chercheur. Je ne me suis pas levé un matin en me disant que j’avais déchiffré l’élamite linéaire. Cela m’a pris plus de 10 ans et je n’ai jamais été certain que je parviendrais au but."
L’écriture élamite linéaire note une langue particulière, l’élamite. Il s’agit d’un isolat linguistique ne pouvant être rattaché à l’heure actuelle à aucune autre famille linguistique connue, à l'exemple du basque. " Jusqu’à ce déchiffrement, tout ce qui concernait les populations occupant le Plateau iranien provenait d’écrits mésopotamiens. Ces nouvelles découvertes vont enfin nous permettre d’accéder au propre point de vue des hommes et femmes occupant un territoire qu’ils désignaient par Hatamti, alors que le terme d'Elam par lequel nous le connaissions jusque-là, ne correspond en fait qu’à un concept géographique externe, formulé par leurs voisins Mésopotamiens ".
En vert, l'aire de diffusion de l'écriture élamite linéaire au 4e/3e millénaire avant J.-C. Crédit François Desset
Cette percée du déchiffrement à des implications importantes dans trois domaines, a poursuivi François Desset: " sur l'histoire iranienne; sur le développement de l'écriture en Iran en particulier, et au Proche-Orient en général, avec des considérations sur la continuité entre les systèmes d'écriture proto-élamite et élamite linéaire; et sur la langue hatamtite (élamite) elle-même, désormais mieux documentée dans sa forme la plus ancienne et rendue désormais accessible pour la première fois par un système d'écriture autre que le cunéiforme mésopotamien."
Pour Massimo Vidale, le protohistorien italien organisateur de la conférence de Padoue, " La France, par ce nouveau décryptage, maintient sa primauté dans le "craquage" des anciens systèmes d'écritures perdus ! ". Quant à François Desset, il s'est déjà lancé dans le déchiffrement de l'état le plus ancien de l'écriture iranienne, les tablettes proto-élamites, pour lesquelles il considère avoir désormais ouvert une "autoroute".
Il ne faut pas confondre langue (les sons parlés) et écriture (les signes visuels). Ainsi, un même système d’écriture peut être utilisé pour noter des langues différentes. Par exemple, l’alphabet latin permet actuellement de transcrire le français, l’anglais, l’italien ainsi que le turc par exemple. De la même façon, l’écriture cunéiforme des Mésopotamiens permettait de transcrire plusieurs langues comme l’akkadien (langue sémitique), le vieux perse (langue indo-européenne) ou bien encore l’élamite et le sumérien (isolats linguistiques). Inversement, une langue peut également être transcrite par différents systèmes d’écriture comme le persan (une langue indo-européenne) qui s’écrit à l’heure actuelle aussi bien avec l’alphabet arabe en Iran (et parfois l’alphabet latin avec le surprenant phénomène du fingilish), que l’alphabet cyrillique au Tadjikistan alors qu’il a été noté par le passé avec un système cunéiforme à l’époque achéménide (ca. 520-330 avant J.-C., pour le Vieux Perse) ou l’alphabet araméen à l’époque sassanide (3ème-7ème siècle de notre ère pour le Moyen Perse). Dans le cas de la langue élamite, elle était connue jusqu’à présent uniquement à travers l’écriture cunéiforme. Avec le déchiffrement de l’écriture élamite linéaire réalisé par François Desset, nous avons désormais accès à cette langue à travers un système d’écriture probablement développé exprès pour elle et reflétant donc mieux les subtilités phonologiques de cette langue que l’écriture cunéiforme.
L’abbé Barthélémy (1716-1795) a en 1753 décrypté l’alphabet palmyréen, puis en 1754, l’alphabet phénicien.
Jean-François Champollion (1790-1832) a déchiffré les hiéroglyphes égyptiens.
Henry Creswicke Rawlinson (1810-1895) un des quatre co-déchiffreurs de l’écriture cunéiforme notant la langue akkadienne.
Michael Ventris (1922-1956) a déchiffré en 1952 le "linéaire B", l’une des trois écritures découvertes à Cnossos (Crète) utilisée au 2ème millénaire avant J.-C. pour noter une forme archaïque du Grec.
Sources : https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/breaking-the-code-en-craquant-une-ecriture-non-dechiffree-vieille-de-plus-de-4000-ans-un-francais-remet-en-cause-la-seule-invention-de-l-ecriture-en-mesopotamie_149795
https://www.breizh-info.com/2021/02/08/158644/larcheologue-francois-desset-est-parvenu-a-dechiffrer-lelamite-lineaire-une-des-plus-anciennes-ecritures/
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lamite_lin%C3%A9aire
Pour info, Elam est cité plusieurs fois dans la Bible - Ancien testament (28 fois), mais Hatamti n'est cité qu'une fois, par le prophète Nahum et dans son livre, et avec une erreur : Nahum désigne un endroit comme étant "la porte Hatamti", mais en référence à l'Assyrie et Ninive. Une preuve de plus, si besoin, car les historiens ont bien fait le rapport entre les écrits Assyriens et Sumériens et plusieurs textes de la Bible (l’épopée de Gilgamesh et son récit d’un Déluge universel, l'Arche de Noé par extension - le début de l'histoire de Moïse (en fait la même que celle de Sargon l'Akkadien - le Code de Hammourabi - ), suite à la déportation de l'élite des Hébreux à Babylone, où ils ont récupéré des données historiques et mythologiques, servant à écrire leurs propres textes, servant à réunifier leur peuple disparate...
Le berceau de ce peuple était situé sur les hautes terres de l’Iran actuel, autour de la ville d’Anshan, dans un territoire plutôt périphérique par rapport au Croissant Fertile. Dès le 4ème millénaire avant JC, les Elamites seraient descendus de leur montagne et auraient colonisé la bordure orientale de la riche plaine alluviale de Mésopotamie. C’est là qu’ils entrent en contact avec les premières civilisations urbaines et qu’ils créent leur propre capitale, Suse.
La Bible évoque Elam, le fondateur légendaire du pays, présenté comme un petit-fils de Noé et un des fils de Sem, l’ancêtre des peuples sémites. Les Hébreux ont certainement côtoyé des Elamites sur les rives de Babylone, mais ils se sont manifestement trompés sur leur origine.
En effet, d’après les linguistes, la langue élamite n’est pas sémitique comme celles de la plupart de leurs voisins occidentaux du Moyen Orient (Akkadiens, Assyriens, Babyloniens, Syriaques, Hébreux, Arabes…). Elle n’est pas non plus indo-européenne, comme celles de leurs voisins orientaux (Perses, Arméniens, Kurdes, Hindis…). L’élamite reste une langue aux racines mystérieuses.
Quant au peuple qui le parlait, il se serait distingué de ses voisins par un teint très foncé, un peu comme comme celui des Tamouls du sud de l’Inde (1).
le déchiffrement de l’élamite linéaire confirme que l’Elam a inventé la première écriture exclusivement phonétique de l’histoire : avec environ 80 à 100 signes, elle est beaucoup plus ingénieuse que le cunéiforme, qui en utilise plus de 300 (un mélange de signes phonétiques et de « logogrammes »). Desset estime également que l’élamite linéaire vient du proto-élamite et que ce dernier n’est pas une copie du cunéiforme, comme on le pensait jusqu’à maintenant. Proto-élamite et cunéiforme seraient tous deux issus d’un premier modèle encore inconnu. Ce déchiffrement renouvelle de façon importante la question des origines de l’écriture.
Après avoir été dominés par les Mésopotamiens, les Elamites sont passés sous la coupe des Perses, ancêtres des Iraniens. A l’époque du Christ, ils sont pourtant toujours là : les Actes des Apôtres citent l’élamite parmi les langues utilisées par l’Esprit Saint au cours du miracle de la Pentecôte !
Conservant leur particularisme, ils recréent à la première occasion un Etat, le royaume d’Elymaïs, au IIème siècle après JC, dernière structure politique nationale, qui disparaît au siècle suivant. Les habitants se christianisent et obtiennent la création d’un diocèse d’Elam. Vers l’An Mil, le géographe persan Istakhri signale leur présence, ainsi que la bizarrerie de leur langue, ni perse, ni arabe. C’est la dernière mention de ce peuple. Intégré au califat de Bagdad, l’Elam s’arabise. Appelée aujourd’hui Kouzhistan, c’est la seule province arabophone de la République islamique d’Iran.
1) Il ne reste plus aux amateurs que quelques écritures mystérieuses à déchiffrer : le proto-élamite pour lequel Desset est déjà dans la course ; le linaire A crétois (écriture des Minoens remplacés par les Grecs) ; l’écriture de Mohenjo-Daro, la première civilisation urbaine de l’Inde, balayée par les envahisseurs aryens, ancêtres des Indiens actuels.
Parmi les hypothèses évoquées, les habitants de Mohenjo-Daro sont rapprochés des populations parlant des langues dravidiennes pré-indoeuropéennes, comme les Tamouls habitant le sud de l’Inde (et aussi le 10ème arrondissement de Paris).
Or Mohenjo-Daro entretenait des rapports étroits avec l’Elam du temps de son apogée. Et l’élamite est une langue dite agglutinante, exactement comme les langues dravidiennes…
https://www.cairn.info/revue-pardes-2012-1-page-15.htm
https://bible.knowing-jesus.com/Fran%C3%A7ais/words/Elam
https://www.breizh-info.com/2021/02/08/158644/larcheologue-francois-desset-est-parvenu-a-dechiffrer-lelamite-lineaire-une-des-plus-anciennes-ecritures/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nahum
https://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/ecritures-enigmatiques-4-la-tablette-dispilio.html
https://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/ecritures-enigmatiques.html
https://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/ecritures-enigmatiques-le-disque-de-vladikavkaz.html
https://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/aratta-les-sumeriens-n-ont-pas-invente-l-ecriture.html
https://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/progres-sur-le-decryptage-de-l-ecriture-linaire-a-minoen.html
https://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/les-plus-anciennes-ecritures-ne-sont-pas-de-sumer.html
https://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/apres-le-royaume-d-aratta-c-est-la-civilisation-de-l-indus-qui-devance-sumer.html
Yves Herbo, Sciences-Faits-Histoires, 08-03-2021